Dès potron-minet, à La Porte du Soleil, une palette de couleurs
chatoyantes diaprait la verte prairie, terre d’accueil de l’évènement floral de
l’année ; adventices étonnamment
reluisantes, fleurs multicolores aux corolles épanouies, accompagnées du
cortège animé et mouvementé des auxiliaires se rassemblaient en un ornement
champêtre.
En ce grand jour de fête, faune et
flore attendaient avec Patience - vertu coutumière
aux jardiniers - l’arrivée de
Marguerite, surnommée Arc-En-Ciel… leur mariée !
Elle se faisait désirer.
Un rire déchira l’atmosphère ;
Pivert de passage à la Porte du Soleil pleupleuta… un signe annonciateur de
pluie ? Le calme avant la tempête ?
Soudainement, le jour changea de
robe ; le ciel bouleversé, fit pleurer les nuages ; on entendit un
frisson plaintif, un frôlement de pétales…
Reine-Marguerite avançait
pesamment ; elle venait de découvrir sa fille Arc-En-Ciel gisant à terre,
la tige déconfite, le cœur déchiré et si faiblement accroché au calice ; quelques-unes
de ses « pétales » roses étaient éparpillées sur le sol.
La nature se cendra. Feuilles et
pétales se replièrent ; un silencieux cortège s’achemina vers le lieu du
crime. À sa tête, Chrysanthème et Scabieuse en pourpre foncé confortaient
Reine-marguerite.
Le temps du deuil révolu,
Reine-Marguerite secoua son chagrin ; la descendance des Matadores, sa
lignée, devait se relever.
En cet été funèbre, elle dévoila le
drame aux Cherche-midi, Gendarmes des environs qui étaient déjà sur place pour
verbaliser une infraction aux règles de bon voisinage botanique. Cependant,
l’affaire était ici plus sérieuse et dépassait leurs compétences. Rebroussant chemin,
la petite colonie rouge, orangée et noire se dirigea vers « The Landscape
Garden » dans le quartier « English Legend » ; y vivait le
fleuron des enquêteurs des jardins : Sherlock Holmes, notre rosier
anglais.
Sherlock écouta avec respect le récit de
Reine-Marguerite, cette mère éplorée aux feuillages flétris qui avait évaporé
sa douleur, « Sa fille, en pleine fleur de l’âge, si épanouie, Arc en ciel, son
pont vers le paradis ».
Avant
de partir recueillir les témoignages des divers habitants de La Porte Du
Soleil, il inspecta le lieu où fut retrouvée Arc En Ciel. Il remarqua qu’un
certain nombre de « pétales » manquait.
Déjà emportées par le vent ? Triste inflorescence ! pensa-t-il.
Tout d’abord, il rendit visite, au séduisant
et mystérieux gentleman farmer des
environs, Lupin, Arsène de son petit nom. Sherlock se méfiait de ce prétendu
repenti… devenu jardinier, qui restait
selon ses dires, bien éloigné de La Porte Du Soleil et entretenait sans
artifices son lopin de terre.
Il décida ensuite d’interroger les proches de
la branche naine de la famille, cousine et cousins de
la mariée, regroupés en bordure… de prairie ; il écarta Pinocchio pour ne pas
perdre son temps, faillit s’endormir devant Midinette, notre sentimentale, qui
lui narrait l’aventure amoureuse d’Arc En Ciel sous la forme d’un roman à l’eau
de rose alors que Lutin, petit diablotin à l’esprit badin, avec ses fleurs en pelote
d’aiguilles, le piqua volontiers au vif.
Le résultat de ces premières investigations ne
fut pas florissant.
Dans le champ cultivé, Tournesol s’orientait ;
son état d’héliotrope faisait de lui un témoin important. Notre professeur,
ébloui de culture mais « dur de la feuille » mit à mal Sherlock, transpirant
d’impatience sous le soleil éclatant de cette fin de mois d’août. Tournesol lui
apprit que les jours précédents le mariage, il avait vu des va et vient du
marié chez Arc en ciel et immédiatement après son départ des « pétales »
roses s’envoler… et des « pétales » roses s’envoler, tiens donc, s’interrogea Sherlock.
Parlons-en du futur marié : il s’appelait
Cosmos ou Kosmos en grec, comme il aimait à le rappeler ; Parure céleste de
Dame nature, enivrant, il signifiait l’innocence en langage fleuri… de la
première jeunesse, alors !! Car il avait fait un trou à la lune, évanoui
le Cosmos !
Sherlock se dirigea vers l’étang où
il se ressourça en partageant avec Lotus Sacré des moments de pure plénitude.
Non loin de là, humble Roseau laissait ses plumeaux se balancer au gré du vent
près de… La Fontaine. Sherlock le laissa se plier avec agilité et sagesse.
Il croisa Lys et sa courtisane, Belle
de jour ; Lys, d’une sève ascendante royale, ne daigna pas s’arrêter alors
que Belle de Jour, effleura le sujet, trop occupée à s’éployer.
Au crépuscule, Sherlock revenait avec
de modestes confidences : Capucine, n’avait rien vu, trop absorbée par les
préparatifs musicaux - si désespérément populaires, s’indigna Sherlock
- de la fête : danse et comptine ; Langues de Belle- Mère, succulentes médisantes
avaient fatigué Sherlock avec leurs futiles jacasseries ; Folle Avoine
n’avait tenu aucun propos cohérent ; Poule Grasse se souciait avant tout de
retrouver sa fraîcheur printanière ; Les Quatre Saisons, son ami Rosier,
un autre mélomane averti , s’inquiétait uniquement de satisfaire sa
cour : une multitude de groupies ailées, qu’il hébergeait - gîte et
couvert à volonté en échange de compliments charmant son
réceptacle floral. Aucune autre
célébration ne l’intéressait, il le comprenait
si bien !!
Sherlock ne rencontra pas La Fiancée
du Soleil ; notre Souci, tourmenté, diffusait auprès de Reine-Marguerite, son
baume cicatrisant les blessures de l’âme, pour qu’elle retrouve son essence
originelle.
Il alla tâter Cactus ; il vécut
alors un moment épineux mais ne regretta pas les pressions exercées pour
essayer de lui soutirer de piquantes révélations. Sa curiosité fut récompensée.
Il reçut différents sons de… clochettes de la part de Campanule, encore fallait-il
qu’elles eussent tintillé avec une minutieuse exactitude ?
Enfin, il trouva du réconfort auprès
de Camomille, Mauve et Verveine qui exhalaient de doux parfums ;
l’air s’aromatisait, il repartit serein, rêveur. Lavande, Huile essentielle -
personnage influent de ce petit parterre
de plantes médicinales - lui conseilla de ne pas emprunter le sentier menant à
la forêt car il risquait de fouler « les herbes d’égarement »,
maudites Fougère et Tourmentine qui lui feraient perdre son chemin.
Sherlock évita La Rue dont la forte
odeur l’incommodait ; il envoya en éclaireur, Luciole, pour veiller sur le
lieu du crime.
De charmantes noctambules croisèrent
son chemin ; Cheveux De Vénus et Belle De Nuit qui avaient rendez-vous
sous la tonnelle où les attendait la volubile et attachante
Suzanne-Aux-Yeux-Noirs soutenue par son tuteur.
Troublé, Sherlock bouscula Adalie et
revint vite sur terre quand notre coccinelle faillit « sortir ses deux poings
».
Il s’évada lors du décollage de
Cerf-Volant, en admirant ses acrobaties improvisées… son âme s’élevait.
Sherlock rentra au « English
Legend »; il écouta avec bonheur les dernières stridulations
enchanteresses de Petit Cheval Du Bon Dieu et s’endormit au son de craquements
brefs et réguliers… les tic-tacs des Horloges-De-La-Mort, ses compagnons
xylophages de la grange. Son sommeil fut agité : de vives Pensées
associées au souvenir d’Arc-En-Ciel lui chuchotaient « Ne m’oublie
pas » et Raiponce, sa merveilleuse voisine apparut ; elle lui
conta des histoires à ne pas dormir debout. (« Un Jour, Mon Prince
Viendra… »)
Euphorbe Réveille-Matin le salua,
toxique éveil !!
Sherlock consulta son compatriote
anglais, Docteur Watson, rosiers aux vertus curatives ; ce dernier lui
confirma que notre Arc En Ciel n’était atteinte d’aucune maladie qui aurait pu
parasiter son mariage.
Il admira la beauté si éphémère d’Œil
De Paon et lui souhaita la plus flamboyante des journées.
Puis, il médita au pied de Sapin
espérant un cadeau inattendu, un présent hors saison mais qui serait tellement
bien venu pour son enquête… notre Roi des Forêts, persistant, enraciné dans les
traditions, resta planté sur ses idées ; aucune information ne
germa ! Sa majesté, Chêne, robuste et généreux ami, l’accueillit avec une
extrême obligeance. Sherlock persuadé, que les
arbres étaient des nids à secret, examina avec attention - et certainement
intuition - le noble tronc de Grand Chêne… il y découvrit : C+P= ♥
Confortablement lové sur un lit de
Mousse, bercé par le doux friselis de la brise matinale, il composa alors avec
soin un scénario à l’aide du bouquet d’indices dont il disposait :
*
la présence de « pétales » en nombre insuffisant au pied d’Arc
En Ciel.
* l’aveu aiguillant de Cactus :
Cosmos avait fleureté avec Pâquerette, jeune fleur blanche.
* cette dernière était la vagabonde hédoniste,
venue pousser à La Porte du Soleil au gré de ses envies... la roturière, comme
l’avaient surnommée Campanule et Langues de Vipère.
* les visites de Cosmos à Arc En
Ciel et l’envolée régulière de « pétales » roses.
Sherlock se félicita, il venait de
découvrir le pot aux roses et « en soulevant son couvercle » les plus secrètes
pensées pouvaient s’éventer…
Il rejoignit Reine-Marguerite.
« C=Cosmos, P=Pâquerette ! »
lui confia l’énigmatique enquêteur ; Reine-Marguerite écarquilla quelque
peu ses pétales, dubitative.
Sherlock s’évasa : Cosmos,
espèce sulfureuse, prénommé Le Diablo, avait fait beau temps à Arc En Ciel,
trop fleur bleue. Il avait été fertile en blandices ; ce brodeur ne s’était
pas contenté de tromper Arc En Ciel avec Pâquerette ; quelques jours avant
le mariage, il avait chanté l’antienne : « je t’aime, un peu, beaucoup,
passionnément, à la folie… et pas du tout… ». Ce jeu amoureux, effeuiller
la Marguerite, avait été fatale à Arc En Ciel, la mariée s’était envolée !
Les Gendarmes étaient déjà alertés,
un avis de recherche circulait :
COSMOS, NUISIBLE PUBLIC N°1 À CUEILLIR PRÉCOCEMENT !
Sherlock
retrouva son Home Sweet Home. Il espérait bien attraper
Cosmos pour lui donner une bonne Giroflée à 5 feuilles ! (une bonne
baffe !!)
« Affaire
élucidée, mon cher Watson, se vanta Sherlock
-Tout de même,
Sherlock, c’est une mesquine vengeance « au ras des
pâquerettes » !
-Élémentaire… »
L’amour a cet effet moiré, attirant
les mauvaises graines…
« D’abord tout est rose et
fleurs ensuite peine et douleurs »
Hélène mariau