Il
était une fois, un brave pâtissier, Michel, généreux, talentueux. Il créait
toutes sortes de délices et délicatesses, dans sa boutique, Le Bonheur de la
Gourmandise. Un jour, Michel décida de présenter un Mendiant ; pour
certains familiers de la vitrine, ce nouveau gâteau devint vite énigmatique
voire antipathique. Ça Va Se Savoir, un beignet camerounais, avait colporté la
nouvelle et ses propos faisaient tâche d’huile. La confrérie des desserts fut
convoquée.
La
réception débuta par l’intervention d’une vraie Conversation, à l’ancienne,
croustillante, au feuilleté incomparable ; elle garda un discours
pédagogique reposant sur le modèle de ses origines… Les Lumières… qui se devait
de faire progresser toute l’affaire.
Puis,
Éclair, accompagné de sa moitié La Caroline, se lança dans une philippique,
dont la violence eu un effet foudroyant. Le pauvre Michel en aurait été pétri…
de peur ! Éclair prétendait que Michel ne pouvait pas pâtisser un Mendiant
et le proposer à la vente à côté de tous les autres nobles gâteaux. Faire
l’aumône de restes de pain rassis pour confectionner ce Mendiant ! Quelle
déchéance ! La véhémence d’Éclair se comprenait par rapport à sa
descendance : les Éclairs, avaient appartenu à la famille des « Petites
Duchesses », appellation tombée en désuétude.
Se déroula ensuite une procession de
desserts : au premier rang, Richelieu ; il était suivi par Religieuse
qui connaissait bien Éclair - eux deux
côtoyant, chacun à sa façon, la maison céleste : lui, venant du ciel et
elle, s’y confiant souvent. Auprès de Religieuse, Soupir de Nonne, ce beignet,
léger comme un souffle était un sacré délice … grâce à un vent ! En effet,
Soupir omettait
de confesser sa naissance :
un Pet de Nonne, nom de baptême de cette pâtisserie… un petit péché, bien
pardonné. S’avança, en vacillant Bénédictin emmenant dans son sillage des effluves
liquoreux. Enfin, fermant la marche, Sacristain, au service de ce monde
clérical, qui se trouvait en grande communion avec Calisson, friandise bénie,
parfumée à la fleur d’oranger.
Richelieu,
doucereux, fut leur porte-parole.
Il
approuva immédiatement l’opinion
d’Éclair et souligna la pauvreté de ce nom, Mendiant. Son Éminence pérorait,
imposait ses idées cardinales ; on assistait à des logorrhées
interminables. Les Duchesses, biscuits –noisette, le flattaient. Il en faisait
une bouchée. Richelieu n’était rien qu’un cake dans un milieu propice à son
épanouissement ! Ruminaient les affamés de vengeance.
Cette
affaire avait ravivé de vieilles querelles entre les viennoiseries et les
gâteaux, tartes et confiserie … Autrefois, Michel, notre brave pâtissier
avait décidé de réaliser des viennoiseries traditionnelles. Il était
devenu suspect aux yeux des boulangers - rivalités naturelles sans doute- mais
surtout cette proximité avec des produits considérés comme médiocres avait
irrité à l’époque nos nobles pâtisseries. Le douloureux sujet du jour
réjouissait Croissants, Petits Pains, Brioches, Chaussons, et même les
Escargots, tout juste arrivés. Ils ne se privaient pas d’étaler le succès de
cette diversification et soutenaient
Mendiant car eux, savaient comme il était difficile d’avoir sa part dans
Le Bonheur de la Gourmandise. Ils pouvaient compter sur un allié naturel,
charitable, leur saint-patron, Saint –Honoré, un « sacré » gâteau .
Une
odeur de revanche flottait dans l’atelier.
Brioche,
aux courbes généreuses et moelleuses, s’approcha. Elle raconta pleine de
mansuétude, l’histoire de Kouign- Amann, victime de discrimination. Michel
avait mis en vente un Kouign-Amann, un beau matin de septembre, une surprenante
rentrée se plaisait-il à annoncer. Les mêmes, comme à l’accoutumée, avaient
traité avec acrimonie le petit nouveau, pourtant bien craquant, jusqu’au jour
où, Le Petit Jeannot, un échaudé aveyronnais - qui avait lui aussi connu des
aventures - dévoila l’origine de Kouign – Amann : IL ÉTAIT BRETON !
Brioche décrivit avec détails comment ses détracteurs s’étaient fait mettre en
boîte… de savoureux moments à déguster ! Le Petit Jeannot avait eu les
rieurs de son côté.
Éclair,
Richelieu et son cortège éclatèrent – de rage- pas fraîches les
pâtisseries !
Ça
chauffait, dans l’atelier ! Tarte à la Crème, épaisse, savoureuse,
impatiente, gifla Arlequin : « Entremets – toi !
Réagis ! » Mais Arlequin demeura froid devant cette comédie
improvisée, n’ayant nul sens du comique! Ridicule !
La
température montait, chacun se rangeait…
Merveille
réveilla Oreillette, qui écoutait discrètement, frites à point, elles
rejoignirent Soupir de Nonne, leur cousine et la classe de Richelieu. Cette
catégorie de pâtisseries, plutôt mondaine, se renforça d’autres créations au goût très personnel,
donc peu concernées par l’affaire :
-
Parfait, texture soignée, restait de glace, comme à son habitude. Il ne se
séparait jamais de Miroir qu’il appréciait pour son aspect réfléchissant ;
d’ailleurs, il le questionnait régulièrement « Miroir, ô mon beau miroir,
qui est le plus succulent ? ».
-
Succès, ultra gourmand et authentique - garanti 100% chocolat- ne se faisait
aucun souci, il avait toujours bénéficié d’une audience à la saveur intense.
- Mont Blanc dominant, attendait avec eux le
point culminant de la confrontation car il ne rêvait que de conférence au
sommet.
- Opéra, lyrique, se mettait en scène et
jouait son grand air composé de plusieurs couches.
- La Tropézienne, onctueuse à souhait,
starlette mythique, se contentait de répéter son show.
Trianon
se rapprocha de Richelieu. Ils bâtirent ensemble des châteaux en Espagne, et
rêvèrent de demeurer entre desserts du même rang. Au pas cadencé, Napoléon
marcha vers eux, l’empereur du mille-feuille franco-russe venait soutenir le
moral de cette troupe… « Impossible, n’est pas français ».
De
leur côté, Cigarette, encore bien roulée, Langue de chat, à la réflexion peu
poussée, Tuile, que l’on évitait le plus possible, les Macarons, aux multiples
parfums, enivrants, granuleux, légèrement craquelés, Biscotti, l’italien croquant , Canistrelli le
corse , cassant et Sablé , la bonne pâte si friable - des petits biscuits secs, bien conservés,
gardiens de la mémoire et des traditions culinaires - confièrent à Bras de
Gitan qu’au Bonheur de la Gourmandise, beaucoup de Singuliers, comme ils les
surnommaient, avaient été produits par Michel ; ce dernier avait su
innover, s’adapter et gagner en notoriété.
Bras
de Gitan, bien roulé, par essence voyageur, itinérant, connaissait bien ces
Singuliers.
La
première invasion, au Bonheur de la Gourmandise, rappela-t-il, est venue des
States avec les Brownies, gâteaux – à la noix - qui rapportèrent beaucoup et avec les Cookies,
« pépités » – valant leur pesant d’or – qui ont marqués les clients,
devenus des habitués de notre site. Puis, pour des tea time so british, sont
apparus les Scones, extérieur croquant, intérieur fondant. Un légume se planta
dans un délicieux et sucré Carrot Cake, une réussite ! Ont suivi les
parfums de l’orient, pour égayer les palais de mille et une nuits, cornes de
gazelle, makrout, gâteaux à la noix de coco. Se sont progressivement infiltrés
les parrains Cannolicchi et Ciambella, promoteurs d’une mafia de desserts, aux
saveurs douce, fraîche et crèmeuse, surnommée « La Ricotta
Italienne ». À l’arrivée Des Pateis
de Nata, tous ont pensé, encore un étranger, « c’est du
flan ! » Et bien ils avaient raison, des flans
portugais ! J . Enfin, se sont invités,
l’allemande Forêt Noire et le polonais Baba Au Rhum, suffisamment «
punchés » pour devenir une force de frappe… commerciale.
Alors,
conclut Bras de Gitan, arrêtez vos prétentieuses mignardises et recevez comme
il se doit Mendiant !
Les
Financiers qui étaient restés à l’écart, s’intéressèrent à un éventuel juteux
et nouveau gagne-pain, Bras de gitan ne jetait pas de la poudre – d’amande- aux
yeux des Financiers, le projet pouvait rapporter des … lingots ! Une belle
part du gâteau !
Une
Oublie se fraya un chemin, mince et gaufrée, nostalgique, moyenâgeuse, elle s’émut de tant d’histoire ; les souvenirs ressurgissaient comme une
madeleine de Proust, à la recherche du temps perdu. Elle, qui vécut si
longtemps en homonymie, avec un oubli avant d’être remise au goût du jour par
Michel. Elle fut réconfortée par nos féministes : Arlette fine,
croustillante, Marguerite fleurant le citron, Charlotte, l’élégante, adepte du
boudoir, et Amandine, gâteau-éponge, légère, aérienne.
Éclair
revint en trombe, s’inspira de l’esprit de Jalousie, pour attiser les
rivalités… on ne peut pas parler d’ « un éclair de génie »!
Navette,
épuisée à force de faire tant d’allers-retours pour adoucir les uns et les
autres dépêcha l’Ambassadeur. Sa diplomatie habituelle n’eut aucun effet, il
avait l’amande amère, il était vert ! L’idée de consulter Mille-Feuille
fut vite abandonnée, c’était une ressource alimentaire trop riche.
Paris-
Brest s’inquiéta du tour pris par la conversation. Chacun maintenait et renforçait
ses positions. Les Boutons de Soldats, loin d’être en déconfiture, se
postèrent, prêt à intervenir.
Diablotin,
entremets de petite taille, rôdait, se faufilait et tourmentait par ses
espiègleries. Des grains de folie commençaient à se parsemer.
Doigt
de fée, magnifique, éclatant, orné de nonpareilles s’agita :
« Je
t’invoque, Saint- Michel, notre saint – patron, Donne nous des gâteaux
débonnaires, à l’esprit convivial, Au service de la pure gourmandise,
Maintenant et pour toujours » Cette recette magique d’un vieux
grimoire devait être répétée et cuisinée par des âmes douces et aimantes, le
clan des Peace and Love fut donc réquisitionné :
- les opposés tellement attirants, tendre petit Chou, tout
crémeux – si plein et Chouquette, soufflée, légère- si vide.
- les éternels sentimentaux, les Puits d’Amour, profonds, mystérieux,
friands de senteurs amoureuses – si bien assortis – aux Tourments d’Amour,
troublante pâtisserie à la noix de coco.
- les collés-serrés, soit par passion pour nos deux meringues,
suaves, dessinant un Baiser de Namur ou soit par appétence pour Les Divorcés, séparé par un parfum mais unis
pour la bonne cause.
-
les proches, intimes, familiers du septième ciel, les Gâteaux des Anges, toute la légèreté d’un
péché de gourmandise !
Patatras !
L’appareil fut bien préparé mais l’envolée culinaire fut vite retombée !
L’enchantement s’évanouissait…
Alléluia,
brioche pascale, - en avance sur le calendrier liturgique – la missionnaire des
« saisonniers », tels que les Bugnes, les Colombiers de la Pentecôte, les
Colombes de Pâques, les Galettes des Rois et autres Bûches de Noël, interpela
Richelieu : « Sachez, Monseigneur, et vous, mes compagnons de table,
que parmi les 13 desserts servis le 24 décembre, les fruits secs sont appelés
Mendiants et représentent les différents ordres catholiques ayant fait vœu de
pauvreté… Monseigneur, l’aurait-il oublié ? Oui, Monseigneur, de simples fruits secs au
nom très symbolique !! »
Tous
restèrent de glace, sauf Tatin qui en fut renversée ; ils voulurent
ajouter leur grain de sel.
Il
se faisait tard… Le Broyé du Poitou tapa du poing sur la table. Il se présenta
comme un gâteau démocratique puisqu’il
se séparait en parts inégales : la part n’était donc pas imposée, chacun
choisissait celle qui faisait envie. Ainsi, ferme et cassant, il affirma qu’un
régime équilibré devait avant tout prévaloir. Tous les types de pâtisserie
seraient proposés, le fin gourmet achèterait selon ses désirs.
Fatigués, ensemble ils s’étalèrent, délicieusement
entreposés, pour la nuit.
Dès
le lendemain, des Mendiants trônaient à côté des autres gourmandises. La
clientèle les apprécia.
Cette
histoire avait-elle rendu certains plus tolérants ? Disons que les raisons
de leur attitude agressive, tels que l’ignorance, le classisme, la peur de la
nouveauté, la jalousie voire l’étroitesse de cœur et d’esprit ont pu s’adoucir
ou demeurer empreinte d’amertume. Au mieux, étaient-ils condescendants pour ce que l’on ne peut empêcher… l’esprit
d’ouverture viendrait – espérons-le – plus tard !
Pour comprendre
l’autre, il ne faut pas se l’annexer, il faut se faire son hôte.
Louis Massignon (1883
– 1962)
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