dimanche 14 janvier 2018

UN SCANDALE À LA SAVEUR DOUCE - AMÈRE

             


Il était une fois, un brave pâtissier, Michel, généreux, talentueux. Il créait toutes sortes de délices et délicatesses, dans sa boutique, Le Bonheur de la Gourmandise. Un jour, Michel décida de présenter un Mendiant ; pour certains familiers de la vitrine, ce nouveau gâteau devint vite énigmatique voire antipathique. Ça Va Se Savoir, un beignet camerounais, avait colporté la nouvelle et ses propos faisaient tâche d’huile. La confrérie des desserts fut convoquée.

La réception débuta par l’intervention d’une vraie Conversation, à l’ancienne, croustillante, au feuilleté incomparable ; elle garda un discours pédagogique reposant sur le modèle de ses origines… Les Lumières… qui se devait de faire progresser toute l’affaire. 

Puis, Éclair, accompagné de sa moitié La Caroline, se lança dans une philippique, dont la violence eu un effet foudroyant. Le pauvre Michel en aurait été pétri… de peur ! Éclair prétendait que Michel ne pouvait pas pâtisser un Mendiant et le proposer à la vente à côté de tous les autres nobles gâteaux. Faire l’aumône de restes de pain rassis pour confectionner ce Mendiant ! Quelle déchéance ! La véhémence d’Éclair se comprenait par rapport à sa descendance : les Éclairs, avaient appartenu à la famille des «  Petites Duchesses », appellation tombée en désuétude.

Se déroula ensuite une procession de desserts : au premier rang, Richelieu ; il était suivi par Religieuse qui connaissait bien Éclair -  eux deux côtoyant, chacun à sa façon, la maison céleste : lui, venant du ciel et elle, s’y confiant souvent. Auprès de Religieuse, Soupir de Nonne, ce beignet, léger comme un souffle était un sacré délice … grâce à un vent ! En effet, Soupir omettait de confesser sa naissance : un Pet de Nonne, nom de baptême de cette pâtisserie… un petit péché, bien pardonné. S’avança, en vacillant Bénédictin emmenant dans son sillage des effluves liquoreux. Enfin, fermant la marche, Sacristain, au service de ce monde clérical, qui se trouvait en grande communion avec Calisson, friandise bénie, parfumée à la fleur d’oranger.

Richelieu, doucereux, fut leur porte-parole.

Il approuva  immédiatement l’opinion d’Éclair et souligna la pauvreté de ce nom, Mendiant. Son Éminence pérorait, imposait ses idées cardinales ; on assistait à des logorrhées interminables. Les Duchesses, biscuits –noisette, le flattaient. Il en faisait une bouchée. Richelieu n’était rien qu’un cake dans un milieu propice à son épanouissement ! Ruminaient les affamés de vengeance.

Cette affaire avait ravivé de vieilles querelles entre les viennoiseries et les gâteaux, tartes et confiserie … Autrefois, Michel, notre brave pâtissier avait décidé de réaliser des viennoiseries traditionnelles. Il était devenu suspect aux yeux des boulangers - rivalités naturelles sans doute- mais surtout cette proximité avec des produits considérés comme médiocres avait irrité à l’époque nos nobles pâtisseries. Le douloureux sujet du jour réjouissait Croissants, Petits Pains, Brioches, Chaussons, et même les Escargots, tout juste arrivés. Ils ne se privaient pas d’étaler le succès de cette diversification et soutenaient  Mendiant car eux, savaient comme il était difficile d’avoir sa part dans Le Bonheur de la Gourmandise. Ils pouvaient compter sur un allié naturel, charitable, leur saint-patron, Saint –Honoré, un « sacré » gâteau .

Une odeur de revanche flottait dans l’atelier.
Brioche, aux courbes généreuses et moelleuses, s’approcha. Elle raconta pleine de mansuétude, l’histoire de Kouign- Amann, victime de discrimination. Michel avait mis en vente un Kouign-Amann, un beau matin de septembre, une surprenante rentrée se plaisait-il à annoncer. Les mêmes, comme à l’accoutumée, avaient traité avec acrimonie le petit nouveau, pourtant bien craquant, jusqu’au jour où, Le Petit Jeannot, un échaudé aveyronnais - qui avait lui aussi connu des aventures - dévoila l’origine de Kouign – Amann : IL ÉTAIT BRETON ! Brioche décrivit avec détails comment ses détracteurs s’étaient fait mettre en boîte… de savoureux moments à déguster ! Le Petit Jeannot avait eu les rieurs de son côté.

Éclair, Richelieu et son cortège éclatèrent – de rage- pas fraîches les pâtisseries !

Ça chauffait, dans l’atelier ! Tarte à la Crème, épaisse, savoureuse, impatiente, gifla Arlequin : «  Entremets – toi ! Réagis ! » Mais Arlequin demeura froid devant cette comédie improvisée, n’ayant nul sens du comique! Ridicule !

La température montait, chacun se rangeait…

Merveille réveilla Oreillette, qui écoutait discrètement, frites à point, elles rejoignirent Soupir de Nonne, leur cousine et la classe de Richelieu. Cette catégorie de pâtisseries, plutôt mondaine, se renforça  d’autres créations au goût très personnel, donc peu concernées par l’affaire :
- Parfait, texture soignée, restait de glace, comme à son habitude. Il ne se séparait jamais de Miroir qu’il appréciait pour son aspect réfléchissant ; d’ailleurs, il le questionnait régulièrement «  Miroir, ô mon beau miroir, qui est le plus succulent ? ».
- Succès, ultra gourmand et authentique - garanti 100% chocolat- ne se faisait aucun souci, il avait toujours bénéficié d’une audience à la saveur intense.
 - Mont Blanc dominant, attendait avec eux le point culminant de la confrontation car il ne rêvait que de conférence au sommet.
 - Opéra, lyrique, se mettait en scène et jouait son grand air composé de plusieurs couches.
 - La Tropézienne, onctueuse à souhait, starlette mythique, se contentait de répéter son show.  

Trianon se rapprocha de Richelieu. Ils bâtirent ensemble des châteaux en Espagne, et rêvèrent de demeurer entre desserts du même rang. Au pas cadencé, Napoléon marcha vers eux, l’empereur du mille-feuille franco-russe venait soutenir le moral de cette troupe… «  Impossible, n’est pas français ».

De leur côté, Cigarette, encore bien roulée, Langue de chat, à la réflexion peu poussée, Tuile, que l’on évitait le plus possible, les Macarons, aux multiples parfums, enivrants, granuleux, légèrement craquelés,  Biscotti, l’italien croquant , Canistrelli le corse , cassant et Sablé , la bonne pâte si friable -  des petits biscuits secs, bien conservés, gardiens de la mémoire et des traditions culinaires - confièrent à Bras de Gitan qu’au Bonheur de la Gourmandise, beaucoup de Singuliers, comme ils les surnommaient, avaient été produits par Michel ; ce dernier avait su innover, s’adapter et gagner en notoriété.

Bras de Gitan, bien roulé, par essence voyageur, itinérant, connaissait bien ces Singuliers.
La première invasion, au Bonheur de la Gourmandise, rappela-t-il, est venue des States avec les Brownies, gâteaux – à la noix - qui  rapportèrent beaucoup et avec les Cookies, « pépités » – valant leur pesant d’or – qui ont marqués les clients, devenus des habitués de notre site. Puis, pour des tea time so british, sont apparus les Scones, extérieur croquant, intérieur fondant. Un légume se planta dans un délicieux et sucré Carrot Cake, une réussite ! Ont suivi les parfums de l’orient, pour égayer les palais de mille et une nuits, cornes de gazelle, makrout, gâteaux à la noix de coco. Se sont progressivement infiltrés les parrains Cannolicchi et Ciambella, promoteurs d’une mafia de desserts, aux saveurs douce, fraîche et crèmeuse, surnommée «  La Ricotta Italienne ». À  l’arrivée Des Pateis de Nata, tous ont pensé, encore un étranger, «  c’est du flan ! »  Et bien ils avaient raison, des flans portugais ! J . Enfin, se sont invités, l’allemande Forêt Noire et le polonais Baba Au Rhum, suffisamment «  punchés » pour devenir une force de frappe… commerciale.
Alors, conclut Bras de Gitan, arrêtez vos prétentieuses mignardises et recevez comme il se doit Mendiant !

Les Financiers qui étaient restés à l’écart, s’intéressèrent à un éventuel juteux et nouveau gagne-pain, Bras de gitan ne jetait pas de la poudre – d’amande- aux yeux des Financiers, le projet pouvait rapporter des … lingots ! Une belle part du gâteau !

Une Oublie se fraya un chemin, mince et gaufrée, nostalgique, moyenâgeuse,  elle s’émut de tant d’histoire ;  les souvenirs ressurgissaient comme une madeleine de Proust, à la recherche du temps perdu. Elle, qui vécut si longtemps en homonymie, avec un oubli avant d’être remise au goût du jour par Michel. Elle fut réconfortée par nos féministes : Arlette fine, croustillante, Marguerite fleurant le citron, Charlotte, l’élégante, adepte du boudoir, et Amandine, gâteau-éponge, légère, aérienne.

Éclair revint en trombe, s’inspira de l’esprit de Jalousie, pour attiser les rivalités… on ne peut pas parler d’ « un éclair de génie »!

Navette, épuisée à force de faire tant d’allers-retours pour adoucir les uns et les autres dépêcha l’Ambassadeur. Sa diplomatie habituelle n’eut aucun effet, il avait l’amande amère, il était vert ! L’idée de consulter Mille-Feuille fut vite abandonnée, c’était une ressource alimentaire trop riche.

Paris- Brest s’inquiéta du tour pris par la conversation. Chacun maintenait et renforçait ses positions. Les Boutons de Soldats, loin d’être en déconfiture, se postèrent, prêt à intervenir.

Diablotin, entremets de petite taille, rôdait, se faufilait et tourmentait par ses espiègleries. Des grains de folie commençaient à se parsemer.

Doigt de fée, magnifique, éclatant, orné de nonpareilles s’agita :

« Je t’invoque, Saint- Michel, notre saint – patron, Donne nous des gâteaux débonnaires, à l’esprit convivial, Au service de la pure gourmandise, Maintenant et pour toujours » Cette recette magique d’un vieux grimoire devait être répétée et cuisinée par des âmes douces et aimantes, le clan des Peace and Love fut donc réquisitionné :
 - les opposés  tellement attirants, tendre petit Chou, tout crémeux – si plein  et  Chouquette, soufflée, légère- si vide.
 - les éternels sentimentaux,  les Puits d’Amour, profonds, mystérieux, friands de senteurs amoureuses – si bien assortis – aux Tourments d’Amour, troublante pâtisserie à la noix de coco.
 - les collés-serrés,  soit par passion pour nos deux meringues, suaves, dessinant un Baiser de Namur ou soit par appétence pour Les Divorcés, séparé par un parfum mais unis pour la bonne cause.
- les proches, intimes, familiers du septième ciel,  les Gâteaux des Anges, toute la légèreté d’un péché de gourmandise !

Patatras ! L’appareil fut bien préparé mais l’envolée culinaire fut vite retombée ! L’enchantement s’évanouissait…

Alléluia, brioche pascale, - en avance sur le calendrier liturgique – la missionnaire des « saisonniers », tels que les Bugnes, les Colombiers de la Pentecôte, les Colombes de Pâques, les Galettes des Rois et autres Bûches de Noël, interpela Richelieu : « Sachez, Monseigneur, et vous, mes compagnons de table, que parmi les 13 desserts servis le 24 décembre, les fruits secs sont appelés Mendiants et représentent les différents ordres catholiques ayant fait vœu de pauvreté… Monseigneur, l’aurait-il oublié ?  Oui, Monseigneur, de simples fruits secs au nom très symbolique !! »

Tous restèrent de glace, sauf Tatin qui en fut renversée ; ils voulurent ajouter leur grain de sel.

Il se faisait tard… Le Broyé du Poitou tapa du poing sur la table. Il se présenta comme un  gâteau démocratique puisqu’il se séparait en parts inégales : la part n’était donc pas imposée, chacun choisissait celle qui faisait envie. Ainsi, ferme et cassant, il affirma qu’un régime équilibré devait avant tout prévaloir. Tous les types de pâtisserie seraient proposés, le fin gourmet achèterait selon ses désirs.

Fatigués, ensemble ils s’étalèrent, délicieusement entreposés, pour la nuit.

Dès le lendemain, des Mendiants trônaient à côté des autres gourmandises. La clientèle les apprécia.

Cette histoire avait-elle rendu certains plus tolérants ? Disons que les raisons de leur attitude agressive, tels que l’ignorance, le classisme, la peur de la nouveauté, la jalousie voire l’étroitesse de cœur et d’esprit ont pu s’adoucir ou demeurer empreinte d’amertume. Au mieux, étaient-ils condescendants  pour ce que l’on ne peut empêcher… l’esprit d’ouverture viendrait – espérons-le – plus tard ! 

Pour comprendre l’autre, il ne faut pas se l’annexer, il faut se faire son hôte.
Louis Massignon (1883 – 1962)


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