jeudi 6 décembre 2018

TRAITS D'UNION




                                                      

Le blond Phébus joue à cache-cache, la rue de nuages poétise cette douce après -midi d’arrière-saison.

Tête-en-l’air, je siffle un vers d’oreille en m’acheminant piano-piano vers mon rendez-vous familier : Au Passe-Temps, en plein centre-ville. Montre en main, il est quatre-heures, l’en-cas ne saurait attendre. Passé la large porte-fenêtre, l’odeur du brûle-parfum me titille les narines, une huile essentielle anti-moustiques. Sur le bar, un rat-de-cave sur son bougeoir en fer forgé, un porte-œufs chromé à 6 places, le précieux tire-bouchon, le journal, quelques magasines et des Saint-Joseph, d’un doux orangé. Le calendrier de la poste, accroché au mur, à côté des w.-c. Devant le comptoir, quelques tabourets à quatre pieds. Dans la salle, au carrelage cabochon en terre cuite d’un brun terni, des petites tables en bois disposées çà et là, à la hauteur idoine, le petit écran. La patronne m’accueille, l’essuie-verre à la main ; Martine et Jean-Paul, son mari ont leur franc-parler, de braves gens.

Pause-café, café -crème et ma langue me dit vas-y, vas-y ! Le quatre-quatre est trop bon, pas comme cet étouffe chrétien que je m’oblige à manger religieusement chez  ma sœur pour ne pas froisser mon beau-frère, ce gâte-sauce ! Je lorgne aussi sur des cuisses-madame qui me font bien envie. Plus tard !

Je goûte, re-goûte la volupté de la vie, le bien-être de l’œil !

Elle est là, mamie Lucette, tricotant tranquillement. Son sachet-infusette citron-menthe déjà plongé dans son mug. Je l’aime bien cette grand-mère, de fil en aiguille, elle vous raconte des « en ce temps- là ».Vous êtes alors tout yeux tout oreilles.

Ce n’est pas un lieu washi-washa, toujours est-il que je me souviens de ce bel-esprit habillé à quatre épingles, connaisseur de belles-lettres, repéré avant-hier ; assis sur un tabouret, le Vert-galant ondule vers une éventuelle bien-aimée. Ivresse amoureuse encouragée par quelques fines bulles : un Mort dans l’après-midi, il ne se refuse rien. Même pas peur, comme dit mon neveu ! Il a laissé de côté – à ce qu’on a ouï-dire – la demi-mondaine au fume-cigarette fréquentant la maison de fois à autre ; à l’accoutumée, elle sirote son martini, absorbée par des romans à l’eau de rose.

Au comptoir, un doux pelleteux de nuages, un songe-creux, il pense à contre-courant ; poète idéaliste, il fait florès auprès de la patronne, admirative de son bien-dire, l’espace d’un entre deux verres – vers, elle-même s’évade à des années-lumière de son bar.

Une dame respectable entre, s’assoit et dévisage avec son face-à-main la clientèle. Scintille la pierre précieuse d’œil-de-chat, enchatonnée sur une bague en or gris, portée à l’index de sa main droite... un port avant-coureur d’autorité. Ses vêtements sont loin  – passez-moi l’expression – du décrochez-moi ça : tailleur ultra-chic, sombre, joliment assorti d’un chemisier en soie gorge-de-pigeon. Elle doit avoir une garde-robe très riche. Elle s’exprime avec hésitations trahissant un fort accent anglais. Sur-le-champ, elle dégage une méchanceté railleuse; une commande à l’emporte-pièce, son air pince-sans-rire éloigne tout rapprochement hâtif, cela s’entend. Sa présence dans ce lieu m’intrigue : une envie pressante de tea-time ? Non, un sherry-cobbler… Martine a de la bouteille, son tumbler est apporté à table subito-presto.

Le vieux Monsieur, voisin du bar, un retraité, ex- cheminot de la ligne Paris-Lille vient faire son PMU ; il ôte son couvre-chef – ah, le savoir-vivre ! Il est coquet, l’agréable parfum de son après-rasage se répand dans le bar. Il s’installe. La patronne l’entretient de la pluie et du beau temps puis lui sert son Saint-Emilion,  pas de gros-bleu chez Jean-Paul -- et un casse-croûte.

Roger, l’un des commerçants de la grand-rue, est le demi-frère du patron ; dans sa boutique, se côtoient pêle-mêle des trésors, objets rares, du bric-à-brac, c’est-à-dire quantité d’attrape-nigauds. En le voyant, le patron a posé sur le comptoir la Marie-Jeanne, le tord-boyau maison, d’après les on-dit. Roger est si boute-en train, un touche-à-tout, mais avec lui, pas de croque-en-jambe. Ils vident leurs verres d’un trait.

Un casse-pieds vient s’attabler vis-à-vis de moi. Il passe du coq à l’âne, bafouille un méli-mélo d’idées pâteuses ; ses paroles sont un non-sens. Son haleine empeste, je suis pris d’un haut-le-cœur, il a bu à tire-larigot. Il m’impatiente ! Ça sent le pousse-au-crime, croyez-moi ! Ne vous aveuglez pas, ce n’est pas du mauvais alcool dont je vous parle, vous voyez mieux ? Il est sauvé… il se lève. Arrivé au tiroir-caisse, il crie et accuse Martine de vol au rendez-vous quand celle-ci encaisse les boissons. Croyez-moi, avec la patronne, c’est toujours compté ric-rac ! Jean-Pierre, échauffé par Marie-Jeanne, n’est pas loin du corps-à-corps. Les deux hommes jouent au boute-hors ; il devrait faire attention le boit-sans-soif, le patron a été trois-quarts centre dans son jeune temps, il ne fait pas dans la demi-mesure ! Nul besoin de lui prêter main-forte ! Enfin, ils se calment, le casse-bonbons se sauve en maugréant.

Le policier municipal pénètre brutalement, un fric-frac a eu lieu, il recherche le hors-la-loi … pas le temps de faire une « halte-là » !  Il est sur le qui-vive et repart aussitôt. Moment trouble-fête ! Un faciès interlope n’a pas croisé notre chemin. Dans la rue, un tohu-bohu de voitures.

Sous peu le week-end, les fêtards franchissent la porte d’entrée, fiévreux. Un type avec son huit-reflets, sans-gêne, chante à tue-tête. Réaction mi-figue, mi-raisin de Jean-Paul sans quoi l’ancien rugbyman lui aurait proposé un brûlant tête à tête, pas en porcelaine celui-là !! Il aurait vite fait volte-face, n’est-ce-pas ? Une jeune fille en mini-jupe blanche, chemisier gris-noir, dont la voix aigre m’indispose – une espèce de pie-grièche--  l’accompagne, bras dessus, bras dessous avec une demoiselle tout aussi court-vêtue. À côté d’elles, en toilette criarde, laissant derrière lui un sillage embaumé, un soupirant … Ventre-saint-gris, comme disait Henry IV, plutôt un jeune muguet ! Lucette me jette une œillade sous-entendue. À la va-vite, un café sur le pouce et la joyeuse troupe se tire des flûtes (une telle expression, pour rester dans le milieu du breuvage !!)

Arrive le blanc-bec du village, l’habitant du lieu-dit Le Terrier, un ramasse-ton-bras comme pas un ; il fanfaronne, plastronne, prend des airs avantageux  mais c’est un prétentieux sans moyens ; un brin paumé, mi- ange, mi- démon, un lève-tard de sa génération, adepte des repas-minute, soupe au lait. Pas question de le prendre à rebrousse-poil ! Il ne faut pas grand-chose… un regard de travers et les coups-de-poing s’agitent. Un tout-fou ! Sa boisson : une pale-ale. Je l’observe mi- attendri mi- amusé.

Dans un coin, à l’écart, un trentenaire, à vue d’œil. Jusque-là, il était demeuré sur son quant-à-soi, plongé dans un journal. A mon hochement de tête amical, il salue à grand-peine avec un sourire timide. Peut-être nourrit-il des souvenirs plein de charme ou est-ce des crève-cœur ? Si j’osais, je lui offrirais un petit verre d’esprit-de-vin pour soigner ces maux. Tout à mes pensées, je tressaillis lorsque le patron empoigne mon avant-bras. Il s’assoit et nous sommes pris d’un fou-rire. Il m’invite à trinquer, porter un toast – je le comprends à demi-mots. Il me verse une généreuse rasade d’eau-de-vie ;  je ne crains pas un casse-patte, je redoute par-dessus-tout, un Trois-six, car ça va chauffer à tout-va : griserie d’une folle après-midi ! Fort heureusement, ce pousse-café est vieilli à souhait, juste ce qu’il faut pour avoir un goût de reviens-y. Nouvelle tournée du patron, allons-y pour la rincette ! Ci- devant émoustillé par la Marie-Jeanne, la langue de Jean-Pierre se délit. À brûle-pourpoint, il me confie, entre deux amuse-gueule, qu’il va être grand-père ; sa belle-fille attend son nouveau-né pour le mois prochain, une Cendrillon ou un petit Diablotin, blague-t-il  - à dorloter sans modération ! Le bien-aise se  lie sur son visage. Quelle confidence ! J’en suis fier… pas de faux-semblant d’amitié Au Passe-Temps.  

Quand je sors du bar, à peu-près sobre, le ciel est balayé par un Zéphyr rafraîchissant – un agréable remontant, sans alcool ce coup-là ! Une belle et jeune trotte-menu traverse la route accompagnée d’un chow-chow. A son passage, je me range sur le bas-côté et me saoule d’une exquise senteur, envoûtante (le sent-y bon de ma chère mère quand j’étais enfant) ; sur son front, des accroche-cœurs. Elle est un arc-en-ciel, ce clair-obscur propice au rêve d’une rencontre où je lui offrirai un Coucher de soleil doré ou une Rose de la nuit. Je ne suis pas un croque-madame. Si je donne parole, ce n’est pas un écoute-s’il-pleut. Je veux juste un douillet et tendre pied-à-terre à partager. Elle s’éloigne. Vais-je la revoir ? C’est une quasi-certitude, je croise les doigts, un soi-disant porte-bonheur… 

Je suis un Roger-Bontemps, je me moque du qu’en-dira-t ’on. Au Passe-Temps, des traits d’union, composites, familiers, subtils se forment ; le train-train ordinaire, le mal-être sont ponctués par des intermèdes salutaires. Ainsi, passe la vie dans un va-et-vient de rencontres, de sentiments, d’émotions où chacun peut à plaisir fraterniser. Tous les à-côtés que j’aime.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire