Le blond Phébus joue à cache-cache, la rue de nuages
poétise cette douce après -midi d’arrière-saison.
Tête-en-l’air, je siffle un vers d’oreille en m’acheminant
piano-piano vers mon rendez-vous familier : Au Passe-Temps, en plein centre-ville.
Montre en main, il est quatre-heures, l’en-cas ne saurait attendre. Passé la
large porte-fenêtre, l’odeur du brûle-parfum me titille les narines, une huile
essentielle anti-moustiques. Sur le bar, un rat-de-cave sur son bougeoir en fer
forgé, un porte-œufs chromé à 6 places, le précieux tire-bouchon, le journal,
quelques magasines et des Saint-Joseph, d’un doux orangé. Le calendrier de la
poste, accroché au mur, à côté des w.-c. Devant le comptoir, quelques tabourets
à quatre pieds. Dans la salle, au carrelage cabochon en terre cuite d’un brun terni,
des petites tables en bois disposées çà et là, à la hauteur idoine, le petit
écran. La patronne m’accueille, l’essuie-verre à la main ; Martine et Jean-Paul,
son mari ont leur franc-parler, de braves gens.
Pause-café, café -crème et ma langue me dit vas-y, vas-y !
Le quatre-quatre est trop bon, pas comme cet étouffe chrétien que je m’oblige à
manger religieusement chez ma sœur pour
ne pas froisser mon beau-frère, ce gâte-sauce ! Je lorgne aussi sur des cuisses-madame
qui me font bien envie. Plus tard !
Je goûte, re-goûte la volupté de la vie, le bien-être de
l’œil !
Elle est là, mamie Lucette, tricotant tranquillement. Son
sachet-infusette citron-menthe déjà plongé dans son mug. Je l’aime bien cette
grand-mère, de fil en aiguille, elle vous raconte des « en ce temps- là ».Vous
êtes alors tout yeux tout oreilles.
Ce n’est pas un lieu washi-washa, toujours est-il que je
me souviens de ce bel-esprit habillé à quatre épingles, connaisseur de
belles-lettres, repéré avant-hier ; assis sur un tabouret, le Vert-galant ondule
vers une éventuelle bien-aimée. Ivresse amoureuse encouragée par quelques fines
bulles : un Mort dans l’après-midi, il ne se refuse rien. Même pas peur,
comme dit mon neveu ! Il a laissé de côté – à ce qu’on a ouï-dire – la
demi-mondaine au fume-cigarette fréquentant la maison de fois à autre ; à
l’accoutumée, elle sirote son martini, absorbée par des romans à l’eau de rose.
Au comptoir, un doux pelleteux de nuages, un songe-creux,
il pense à contre-courant ; poète idéaliste, il fait florès auprès de la
patronne, admirative de son bien-dire, l’espace d’un entre deux verres – vers,
elle-même s’évade à des années-lumière de son bar.
Une dame respectable entre, s’assoit et dévisage avec son
face-à-main la clientèle. Scintille la pierre précieuse d’œil-de-chat,
enchatonnée sur une bague en or gris, portée à l’index de sa main droite... un
port avant-coureur d’autorité. Ses vêtements sont loin – passez-moi l’expression – du décrochez-moi
ça : tailleur ultra-chic, sombre, joliment assorti d’un chemisier en soie
gorge-de-pigeon. Elle doit avoir une garde-robe très riche. Elle s’exprime avec
hésitations trahissant un fort accent anglais. Sur-le-champ, elle dégage une
méchanceté railleuse; une commande à l’emporte-pièce, son air pince-sans-rire éloigne
tout rapprochement hâtif, cela s’entend. Sa présence dans ce lieu m’intrigue :
une envie pressante de tea-time ? Non, un sherry-cobbler…
Martine a de la bouteille, son tumbler est apporté à table subito-presto.
Le vieux Monsieur, voisin du bar,
un retraité, ex- cheminot de la ligne Paris-Lille vient faire son PMU ; il
ôte son couvre-chef – ah, le savoir-vivre ! Il est coquet, l’agréable
parfum de son après-rasage se répand dans le bar. Il s’installe. La patronne l’entretient
de la pluie et du beau temps puis lui sert son Saint-Emilion, pas de gros-bleu chez Jean-Paul -- et un
casse-croûte.
Roger, l’un des commerçants de la grand-rue, est le
demi-frère du patron ; dans sa boutique, se côtoient pêle-mêle des trésors,
objets rares, du bric-à-brac, c’est-à-dire quantité d’attrape-nigauds. En le
voyant, le patron a posé sur le comptoir la Marie-Jeanne, le tord-boyau maison,
d’après les on-dit. Roger est si boute-en train, un touche-à-tout, mais avec
lui, pas de croque-en-jambe. Ils vident leurs verres d’un trait.
Un casse-pieds
vient s’attabler vis-à-vis de moi. Il passe du coq à l’âne, bafouille un
méli-mélo d’idées pâteuses ; ses paroles sont un non-sens. Son haleine empeste,
je suis pris d’un haut-le-cœur, il a bu à tire-larigot. Il m’impatiente ! Ça
sent le pousse-au-crime, croyez-moi ! Ne vous aveuglez pas, ce n’est pas
du mauvais alcool dont je vous parle, vous voyez mieux ? Il est sauvé… il
se lève. Arrivé au tiroir-caisse, il crie et accuse Martine de vol au
rendez-vous quand celle-ci encaisse les boissons. Croyez-moi, avec la patronne,
c’est toujours compté ric-rac ! Jean-Pierre, échauffé par Marie-Jeanne,
n’est pas loin du corps-à-corps. Les deux hommes jouent au boute-hors ; il
devrait faire attention le boit-sans-soif, le patron a été trois-quarts centre
dans son jeune temps, il ne fait pas dans la demi-mesure ! Nul besoin de
lui prêter main-forte ! Enfin, ils se calment, le casse-bonbons se sauve
en maugréant.
Le policier municipal pénètre brutalement, un fric-frac a
eu lieu, il recherche le hors-la-loi … pas le temps de faire une « halte-là » !
Il est sur le qui-vive et repart
aussitôt. Moment trouble-fête ! Un faciès interlope n’a pas croisé notre
chemin. Dans la rue, un tohu-bohu de voitures.
Sous peu le week-end, les fêtards franchissent la porte
d’entrée, fiévreux. Un type avec son huit-reflets, sans-gêne, chante à
tue-tête. Réaction mi-figue, mi-raisin de Jean-Paul sans quoi l’ancien rugbyman
lui aurait proposé un brûlant tête à tête, pas en porcelaine celui-là !!
Il aurait vite fait volte-face, n’est-ce-pas ? Une jeune fille en mini-jupe
blanche, chemisier gris-noir, dont la voix aigre m’indispose – une espèce de pie-grièche--
l’accompagne, bras dessus, bras dessous
avec une demoiselle tout aussi court-vêtue. À côté d’elles, en toilette
criarde, laissant derrière lui un sillage embaumé, un soupirant … Ventre-saint-gris,
comme disait Henry IV, plutôt un jeune muguet ! Lucette me jette une
œillade sous-entendue. À la va-vite, un café sur le pouce et la joyeuse troupe se
tire des flûtes (une telle expression, pour rester dans le milieu du breuvage !!)
Arrive le blanc-bec du village, l’habitant du lieu-dit Le
Terrier, un ramasse-ton-bras comme pas un ; il fanfaronne, plastronne,
prend des airs avantageux mais c’est un
prétentieux sans moyens ; un brin paumé, mi- ange, mi- démon, un lève-tard
de sa génération, adepte des repas-minute, soupe au lait. Pas question de le
prendre à rebrousse-poil ! Il ne faut pas grand-chose… un regard de
travers et les coups-de-poing s’agitent. Un tout-fou ! Sa boisson : une
pale-ale. Je l’observe mi- attendri mi- amusé.
Dans un coin, à l’écart, un trentenaire, à vue d’œil.
Jusque-là, il était demeuré sur son quant-à-soi, plongé dans un journal. A mon
hochement de tête amical, il salue à grand-peine avec un sourire timide. Peut-être
nourrit-il des souvenirs plein de charme ou est-ce des crève-cœur ? Si
j’osais, je lui offrirais un petit verre d’esprit-de-vin pour soigner ces maux.
Tout à mes pensées, je tressaillis lorsque le patron empoigne mon avant-bras.
Il s’assoit et nous sommes pris d’un fou-rire. Il m’invite à trinquer, porter
un toast – je le comprends à demi-mots. Il me verse une généreuse rasade
d’eau-de-vie ; je ne crains pas un
casse-patte, je redoute par-dessus-tout, un Trois-six, car ça va chauffer à
tout-va : griserie d’une folle après-midi ! Fort heureusement, ce
pousse-café est vieilli à souhait, juste ce qu’il faut pour avoir un goût de
reviens-y. Nouvelle tournée du patron, allons-y pour la rincette ! Ci-
devant émoustillé par la Marie-Jeanne, la langue de Jean-Pierre se délit. À
brûle-pourpoint, il me confie, entre deux amuse-gueule, qu’il va être
grand-père ; sa belle-fille attend son nouveau-né pour le mois prochain,
une Cendrillon ou un petit Diablotin, blague-t-il - à dorloter sans modération ! Le bien-aise
se lie sur son visage. Quelle
confidence ! J’en suis fier… pas de faux-semblant d’amitié Au
Passe-Temps.
Quand je sors du bar, à peu-près sobre, le ciel est
balayé par un Zéphyr rafraîchissant – un agréable remontant, sans alcool ce
coup-là ! Une belle et jeune trotte-menu traverse la route accompagnée
d’un chow-chow. A son passage, je me range sur le bas-côté et me saoule d’une
exquise senteur, envoûtante (le sent-y bon de ma chère mère quand j’étais
enfant) ; sur son front, des accroche-cœurs. Elle est un arc-en-ciel, ce
clair-obscur propice au rêve d’une rencontre où je lui offrirai un Coucher de
soleil doré ou une Rose de la nuit. Je ne suis pas un croque-madame. Si je
donne parole, ce n’est pas un écoute-s’il-pleut. Je veux juste un douillet et
tendre pied-à-terre à partager. Elle s’éloigne. Vais-je la revoir ? C’est
une quasi-certitude, je croise les doigts, un soi-disant porte-bonheur…
Je suis un Roger-Bontemps, je me moque du qu’en-dira-t
’on. Au Passe-Temps, des traits d’union, composites, familiers, subtils se
forment ; le train-train ordinaire, le mal-être sont ponctués par des
intermèdes salutaires. Ainsi, passe la vie dans un va-et-vient de rencontres,
de sentiments, d’émotions où chacun peut à plaisir fraterniser. Tous les à-côtés
que j’aime.
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