dimanche 9 juin 2019

LES MOTS S’AMUSENT










Monsieur d’Argencourt - Monsieur de la bourse vide (Argent court), grand écumeur de table, censément fort-en-mie (homme très gras), aime la bonne chair.  Erreur orthographique ! Vous n’êtes pas sans savoir qu’il aurait été plus juste d’écrire aime la bonne chère ; confusion futile quoi qu’il en soit car tous les plaisirs siéent à ce monsieur. N’évoquons point pour lui, un autre homonyme, toute éloquence de la chaire serait une voie abstruse.

Lors d’une invitation chez les Lachapelle, maison hospitalière, dont monsieur d’Argencourt est commensal,
je le vois, attablé, bien calé (comprenez bien installé, et non bien rempli !), sans voix mais bouche béate d’admiration devant des mets multicolores qu’il mange déjà des yeux ... les yeux du bouillon pour plus tard. Il se sert très copieusement de tous ces avant-coureurs de vin (citation de Rabelais). Ses voisines gloussent, potinent, (ôtez la terminaison du verbe et vous devinez leur humeur babillarde). L’une d’entre elles souffle à son amie : « on lui a fait manger des oublies ». L’utilisation au sens propre et figuré de oubli-e, entendez le verbe oublier et le gâteau une oublie, dissimule une raillerie dans une conversation anodine. La locution signifie : « On a oublié de lui donner à manger ». Pour autant que je sache, ce brave d’Argencourt est bâtit sur le devant ! Belle métaphore immobilière issue de nos ancêtres !

 Son appétit naturel s’accommode avec un appétit sensible au désir. Il dévore autant son repas qu’il ne bade sur une demoiselle, au prénom séducteur à souhait, Bella-rosa. Jolie comme une fleur, il est disposé à l’accueillir – la cueillir. En dépit de cette bien veillance, « Il est auprès de cette belle comme le bénitier est dans l'église, près de la porte et loin du chœur »… cœur ! (Proverbe français). Agacée par ces clins d’yeux déplacés, ces sourires visqueux, Bella-rosa trouve un faux prétexte - qu’il est maladroit de ma part d’employer l’adjectif faux, je frôle le pléonasme, un prétexte suffit pour laisser D’Argencourt en plant. « Je vais au cent » dit-elle, ce qui oralement prête à confusion, sang, cent ou sent. Pour vous cher lecteur ce qui convient à cette expression populaire est le mot tel qu’il est écrit … cependant, tout un chacun peut flairer une association d’idées odorantes entre sent et cent, le numéro cent correspondant en effet aux lieux d’aisance.

Déconfit, monsieur d’Argencourt ? Des confits graissent en un clin d’œil son assiette, un onctueux dictame. Il saupoudre sa viande nonchalamment.

Bella-rosa est derechef importunée. Jean, un égrillard, à senestre, s’est égayé auprès d’elle au point de s’égailler dans un discours certes amphigourique mais suffisamment suggestif. Il n’a pas bu que du vin de M. du puits. La charmante lui en a donné dans l’aile, il est près de sacrifier à Vénus et même très prêt. Oh ! Faire la volonté de Vénus (vous le savez déesse de l’amour) un trop grand sacrifice pour Bella-rosa ! Les offrandes attendront. Pas de sceptique dans l’assistance ! Aucun ne doute des pensers licencieux de ce malfaisant – un « mâle faisan » piètre volatile, noblesse d’une basse-cour ! Personnage septique, semeur de grossièreté se voulant d’une imagination luxuriante et luxurieuse, contaminant l’atmosphère d’une vive concupiscence !

« Un intermède - bouffe » met fin à la comédie pitoyable de « Jean - bête » Bella-rosa. L’éruption de colère de Bella-rosa est contenue par l’irruption dans la salle de monsieur Sans-Gêne (les perturbations diffèrent selon le préfixe !)

Monsieur Sans-Gêne, roi de la tartitude, habillé de pied en cap et en cape a le verbe haut. Tartitude, un maître de la cuisine ?, pas du tout, un retardataire. Il s’abouche dès son arrivée avec les autres convives, coupe la parole. Les conversations s’émiettent. Peu lui chaut ! Il s’incruste dans un échange conjugal sur l’adultère. Il baille sa définition : « L’adultère rapproche une moitié d’un tiers » – l’absence d’accent sur le verbe est volontaire, monsieur Sans-Gêne ne bâille pas, est même bien éveillé – sa réflexion ne manque pas de sel !

Monsieur est dans les mathématiques souligne Amour de La Fontaine, une dame d’un âge certain. Elle est dans les L – la cinquantaine ! Amour de la Fontaine, de paroles affables – à fables vous l’aurez bien compris - conte avec bonté. Son histoire préférée : Le corbeau et la corbeille, un couple d’oiseaux rareJ. Le récit animalier serait plus pertinent avec une corneille. À moins qu’il ne s’agisse d’un corbeau, sombre maitre chanteur (drôle d’oiseau, lui aussi) distribuant une corbeille de manuscrits mensongers, infâmes, à toute volée. Mon imagination s’égard : la fabulation ou l’affabulation ? Au temps pour moi !

Monsieur de La Fontaine peu attiré par le fabuleux - un comble peut-être - et peu enclin à écouter sa femme, très agité, explose : « De la bourrache ! ». Tous se taisent et chacun se tâte – n’y voyez aucune familiarité - . Il règne une palpable confusion, pourquoi monsieur de la Fontaine a soif de plante médicinale ? Il ne nage pas en eaux troubles, La Fontaine est toujours claire ! J  Monsieur pratique l’argot du 19 ème siècle : les plantes de bourrache étant sudorifiques, c’est une manière courtoise envers sa femme de lui dire : «Tu me fais suer ! ». Quel « bouillon de culture ! »

Un rire rafraîchissant inonde la pièce. Monsieur Sans-Gêne dévisage sans pudeur son auteur et assure « elle a du lait sous sa chemise ». Vu le léger embonpoint de cette jeune dame, tout le laisse à supposer. Mais, est-elle en grâce ou grasse à ses yeux ? Est-ce du « lait » ou du « laid », l’oral est parfois si inoffensif !

La plupart d’entre nous le pensent « On n’est pas louis d’or », on ne peut pas plaire et faire plaisir à tout le monde !!

Un petit dialogue impromptu aborde les prémices d’une logomachie. Nul n’entendit les prémisses !  

 « Allumer la lumière ! Un nom de trop, chère madame, allumer se suffit amplement à lui-même.
        - Monsieur, par bienséance, je n’ai point relevé vos dires tels que « les délices interdits », rétorque avec habileté cette chère madame.
       -  (Furieux) Comment ? Vous aimez à railler !
       -  Simple tromperie de genre, le vôtre est fluctuant. »
Monsieur s’estime beaucoup et se croit insolenté ; il ne croît cependant pas en sagesse et réfute :
« Comment osez-vous blesser, blâmer, humilier, mortifier - quelle amplification ! - mes ancêtres et moi-même ! Genre fluctuant !!? Je suis un homme, madame, et fier de l’être ! Je vous baise les mains ! »

 Un baisemain ? Un retour de galanterie ?  Non, un brin d’ironie : sur le ton plaisant, monsieur signifie à madame qu’il n’est pas de son avis.
Nonobstant l’outrance des opinions de ce monsieur, madame reste coite. Fine, adroite, elle argue :
          « Sans dessein de vous nuire, sachez au moins que le nom délice se transforme au pluriel, il est du genre féminin. Vous êtes tombés simplement dans le lacs (avec s, oui !) Je ne prête, moi, à personne de mauvais genre. »
Monsieur se tait, c’eût été inélégant d’insister.

Monsieur d’Argencourt chante à brûle-pourpoint et attiédit les sentiments exaltés. Ce chanteur fertile donne un champ libre à son imagination. 
À la vue du bœuf, il rebat les oreilles des convives de la chanson de Malbrough s’en va-t’en guerre : « mironton, mironton… » Heureux d’Argencourt, le bœuf c’est miroton !! Ne soyons pas trop moqueur, après l’apéritif, il n’a pas baptisé son vin, au contraire !  Maintenant on lui apporte une bière… (Une boite à feu !?)… trop de pression, mauvais présage, il tombe dans les pâmes - je préfère cette expression vieillie, je laisse de côté les pommes, pour le dessert ! Il s’écroule sur la table, victime d’un trou noir troublant… (Il faut savoir trou noir ou blanc)… On s’occupe de lui en grande pompe, le funèbre de la situation oblige. Sa voisine, Sibylle, d’inspiration divine, s’inquiète de la levée du corps. Il respire, elle souffle ! Elle n’a nullement l’intention de reprendre le rôle originel de croque-mort, somme toute original ! Ah ! Que nenni ! Sans façons, retirer les pompes d’Argencourt et lui mordre le gros orteil. Bon appétit ! J

Sur les convives, un silence indigeste déteint… des teints… divers…d’hiver, tous nivéens trahissent leurs émotions. Elles se colorent de soucis, de pitié, parfois de curiosité. Les mots alimentent les conversations.

Monsieur d’Argencourt se redresse, la chevelure hirsute - Quel « Épi-Tête ! » -     (hirsute est une épithète, alors j’ai osé !J)

Sibylle a l’air soucieux, ne sait pas ce qu’il faut panser – penser ? Monsieur d’Argencourt a comme mangé de l’endormi, et a du mal à se réveiller. Belle avaloire ! Un avaleur de pois gris ! Il appert que la gourmandise et la gloutonnerie associées troublent les esprits.

Les derniers hôtes remercient les maitres de maison. Ces invités finaux (finauds aussi !) s’empressent de soulager - pas le portefeuille - les inquiétudes de monsieur d’Argencourt. Sait-on jamais : « La fortune vient en dormant. »  (Cornélius Nepos).

L’incident ou accident - selon les dommages -  de monsieur d’Argencourt laisse sur leur faim – leur fin (dommage ! Fin de soirée !) les hôtes ; le dessert est inconsommé.

Indulgent lecteur,

Je suis un ver-coquin, agissant selon ma fantaisie, mon petit grain de folie, mettant en lumière quelques-unes de ces confusions, de ces expressions surannées et quelques-uns de ces jeux de mots, richesses de notre langue. À l’envi de s’amuser et d’éclairer notre lanterne.
Dans cette galerie de portraits, la gente masculine apparaît comme des étrons. Loin de moi l’idée d’une généralité prenant sa source dans ces cas particuliers, ce texte n’est pas une synecdoque. « L‘exemple souvent n’est qu’un miroir trompeur » Corneille


      Hélène mariau









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