samedi 25 octobre 2014

LES EMPREINTES DU TEMPS


L' histoire de Clara


" Non ! Je ne veux plus ! "

Clara est au bord de l'abîme. Elle laisse sa vie en sommeil.

" J'ai bien pensé mourir
De chagrin et d'ennui
J'avais cessé de rire
C'était toujours l'ennui ." (Félix Leclerc )


Chaque réveil est encore plus agité que le précédent; les mêmes images viennent la hanter formant un cercle infernal.
Mais , une nouvelle journée se prépare, déjà, plus de " place pour soi" ...il faut sourire, faire comme si , occulter cet éclairage émotionnel pour espérer évacuer quelques temps toutes les situations déplaisantes, comme " un simple revers de la main ". Elle ne vit cependant qu'en " insomnie permanente" , peu de répit pour ses pensées et préoccupations.


Des mains entreprenantes ( et pourtant si aimantes  )  parcourant ses vallons, explorant une grotte secrète et intime - une bouche assoiffée de baisers- des yeux posés sur elle ivres de plaisir et d'amour- parfois seulement une infime caresse-le plus anodin des contacts- la seule idée d'un regard sur son corps....l'effrayent.


Ces ruminations l'accablent, une grande tristesse l'envahit, son corps souffre, son cœur est lourd, elle étouffe...son regard sur l'autre réalité la culpabilise : elle est une femme en couple !

" Lui...il ne doit pas comprendre ? Suis-je normale ? Suis-je coupable ? Ai-je le droit ? "


Les journées sont " électriques " , éclairées de non-dits - de ces mots qui ne sont pas autorisés à vivre - !
Seule...Clara se sent mieux, elle se réfugie dans la lecture; elle se met à l'écart et les images positives affluent.

Ainsi, peuvent surgir "des lieux où souffle l'esprit "( M.Barrès )

" Je l'aime quand il n'est pas là !"
" Il est l'heure ! Il va rentrer ! "

Les retrouvailles ? L'angoisse ! Une peur concentrique s'empare d'elle .

" Je dois le faire...mon corps fera ce qu'il a à faire...n'y pense pas ...je pleure ! "
"Il est rentré . Il semble triste. Qui souffre ? MOI ...! "

Les discussions sont rares, les banalités du quotidien meublent les soirées.

" Vite ! Se coucher, seule, lire ! "


" Des nappes de silence et d'hostilité sur le corps " s'installent .( H.Michaux )


" Mon corps m'appartient, mon compagnon me fait souffrir . "


Un ressentiment permanent comble ses journées ( semble s'atténuer dans les moments de lecture mais renaît de ses cendres comme le Phénix ) , inonde sa vie - leur vie.
De plus en plus amère, Clara devient agressive; elle le juge, le critique; ils " s'éloignent ".
Les jours et les nuits se ressemblent : ils sont entraînés par un torrent de souffrances.

Clara, déçue, se sent incomprise, se replie sur elle-même. Tout est prétexte à un débordement, tout n'est que  désillusion .

Penser, lutter- lutter, penser...Clara est épuisée.
L'inquiétude se lit sur son visage douloureux. Elle s'inquiète du cours de sa vie, voudrait tant alléger ses douleurs, tarir les pleurs .
Elle laisse voguer son regard sur le vide de son existence et perçoit le tumulte de son univers intérieur.

Un jour, une fenêtre s'ouvre dans son cœur et l'espoir d'un possible arrêt de cet " acharnement fou contre elle-même " a pu enfin y pénétrer.
Qui a trouvé la clef ?

" Je dois agir , essayer de comprendre ! "


Clara consulte.
Aidée, guidée, elle décide de " regarder " son histoire et de laisser émerger les souvenirs....
  - des paroles flottant au gré du passé ressurgissent :

   " Clara , je ne t'ai pas voulu" " Tu n'a pas été la bienvenue "

  - Une enfance en " demi- amour ", une adolescence aux relations tendues et peu affectueuses, une vie d'adulte parsemée d 'agissements sournois ( propos désobligeants, critiques blessantes sur sa famille  ) - deux ans de dépression confrontée " seule" à la douleur, aucun appel , aucune préoccupation pour elle...elle se retrouve face à un " gouffre d'incompréhension " -  une dérive émotionnelle qui aurait pu être fatale, sans point d'ancrage d'origine, l'échouement n'était pas loin...


Au fur et à mesure , les blessures remontent à la surface, Clara éprouve alors une impression poignante de malaise, de désarroi, liée à ce qu'elle ose nommer " cet amour maternel à distance".
Intérieurement, tout s'immobilise; un " éveil à la vie" éprouvant lui fait comprendre qu'elle a laissé trop longtemps quelque chose d'important en sommeil.

" Je suis en manque ! "

Sa vie s'est construite à partir de blessures profondes que son corps a reçues; elle ressent un sentiment d'abandon.
Un voile s'est déchiré révélant des souffrances insoupçonnées, une vérité " s'est libérée " .


"Maintenant tu marches dans Paris tout seul parmi la foule.
Des troupeaux d'autobus mugissants près de toi roulent
L'angoisse de l'amour te serre le gosier
Comme si tu ne devais plus jamais être aimé . " (G.Appolinaire )


Cette " plongée " dans le passé réveille en elle des images, chacune a besoin d'être pleurée .
Clara se sent meurtrie, abîmée.
En exhumant ses souvenirs , elle se retrouve comme un explorateur, une lanterne à la main, dans les abysses de son inconscient à la recherche de son identité .

" On peut tout dévoiler en l'exposant à la lumière, et tout ce qui est exposé devient lui-même lumière ." ( Saint Paul )

" Tends-moi la main ! Donne-moi la main ! Rien que ta main ! "

Pour donner un sens à tant " d'évènements " restés en suspens, Clara met des mots-maux sous la plume, hurle en silence, " lance un appel " .
Les lettres resteront sans réponse. Tout ce passé qui vit en elle , ressemble à " des histoires sans paroles " ...personne pour écouter , pour expliquer !

" Puis-je continuer " cette recherche " ? Je souffre ...le passé est trop puissant, il me pèse !  J'ai peur ...de ne pas y survivre . "

"Je sais ce que vous allez me dire. Il faut rentrer en vous-même...Je suis rentré en moi-même plusieurs fois. Seulement voilà , il n'y avait personne . Alors , au bout d'un moment, j'ai eu peur et je suis ressorti faire du bruit dehors pour me rassurer..." (Jean Anouilh )

" Et , si je lui en parlais ? "

Clara se confie à son compagnon, partage sa détresse, parle beaucoup car trop de silence à rattraper...des larmes, des cris...Il est là, écoute sa colère, l'accueille sans reproche .

"Je ne cherche pas tant à être consolé qu'à consoler, à être compris qu'à comprendre, à être aimé qu'à aimer . " ( François d'Assise )


A force de patience, d'attention, de courage....

Clara s'est réveillée, elle a pris "  conscience de sa vie " ; elle a choisi de mener un combat, accompagnée de ses émotions, partie intégrante de cette vie.
Une route lentement préparée s'offre à elle :
dans les moments de solitude, elle laissera aller son corps endormi et encouragera sans le juger le sentiment qui monte en elle...dépassera alors ses souffrances pour mieux les accepter...fermera progressivement ses entailles...cicatrisera ses blessures...et au bout du chemin....le pardon  ( le renoncement à toute vengeance ) , la compassion envers elle-même et les autres....( le sentiment maternel est le résultat d'une histoire personnelle- parfois désastreuse )

I l n'y a pas de temps perdu , que du temps vécu.
Des deuils s'accompliront, la vie se remettra doucement en mouvement.

En laissant le passé mourir à chaque instant, Clara deviendra le témoin de ce qui se passe en elle; son identité sera liée au présent.
Clara pourra " se libérer " , retrouver de l'affection pour son corps, donner à celui-ci la permission de prendre et de donner du plaisir; elle prendra " le risque " de vivre, de s'aimer et s'accordera le droit d'être aimée .


Bonne route , Clara, sur le chemin de vous-même...

" N'entendez-vous donc pas ce que crie la nature ?
Que veut-elle, sinon l'absence de douleur
Pour le corps et pour l'âme un bonheur pacifié
Délivré des soucis et guéri de la peur ." ( Lucrèce )


A TOI.....qui a trouvé la clef !!

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A TOI -LUI OU ELLE -....POUR EUX ....POUR VOUS...POUR NOUS

                                   "A toi qui m'as obligée à me poser tant de questions,
                                               à toi devant qui je me suis sentie impuissante,
                                                                             à toi qui as progressé si vite,
                               à toi que j'ai accompagné dans la terreur de l'abandon,
                                                                     à toi que j'ai tenu dans mes bras,
                                                                       à toi dont j'ai entendu l'histoire,
                                           à toi qui m'as émue par l'intensité de ta détresse,
                                                                   à toi qui m'as confié tes désespoirs,
                                        à toi qui m'as hurlé tes haines et tes rages d'enfant,
                                                                          à toi qui as découvert ta vérité,
                                                         à toi que j'ai eu tant de mal à rencontrer,
                                                                                   à toi qui t'es ouvert à moi,
                                                        à toi qui ne voulais pas me faire confiance,
              à toi qui as su affronter ta réalité et regarder les souffrances de ton
                                                                                                                       passé,
                                                à toi qui as su parler à tes enfants et les écouter,
                                                                                           à toi qui as su réparer,
                                                                          à toi qui as redécouvert l'amour,
                                                                   à toi qui as choisi de ne plus souffrir,
à toi qui m'as fait confiance pour t'accompagner sur le chemin de toi-même,
                                                                                                                         à toi.

( Isabelle Filliozat : " Que se passe t'il en moi ? " )


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Hélène Mariau