jeudi 6 décembre 2018

TRAITS D'UNION




                                                      

Le blond Phébus joue à cache-cache, la rue de nuages poétise cette douce après -midi d’arrière-saison.

Tête-en-l’air, je siffle un vers d’oreille en m’acheminant piano-piano vers mon rendez-vous familier : Au Passe-Temps, en plein centre-ville. Montre en main, il est quatre-heures, l’en-cas ne saurait attendre. Passé la large porte-fenêtre, l’odeur du brûle-parfum me titille les narines, une huile essentielle anti-moustiques. Sur le bar, un rat-de-cave sur son bougeoir en fer forgé, un porte-œufs chromé à 6 places, le précieux tire-bouchon, le journal, quelques magasines et des Saint-Joseph, d’un doux orangé. Le calendrier de la poste, accroché au mur, à côté des w.-c. Devant le comptoir, quelques tabourets à quatre pieds. Dans la salle, au carrelage cabochon en terre cuite d’un brun terni, des petites tables en bois disposées çà et là, à la hauteur idoine, le petit écran. La patronne m’accueille, l’essuie-verre à la main ; Martine et Jean-Paul, son mari ont leur franc-parler, de braves gens.

Pause-café, café -crème et ma langue me dit vas-y, vas-y ! Le quatre-quatre est trop bon, pas comme cet étouffe chrétien que je m’oblige à manger religieusement chez  ma sœur pour ne pas froisser mon beau-frère, ce gâte-sauce ! Je lorgne aussi sur des cuisses-madame qui me font bien envie. Plus tard !

Je goûte, re-goûte la volupté de la vie, le bien-être de l’œil !

Elle est là, mamie Lucette, tricotant tranquillement. Son sachet-infusette citron-menthe déjà plongé dans son mug. Je l’aime bien cette grand-mère, de fil en aiguille, elle vous raconte des « en ce temps- là ».Vous êtes alors tout yeux tout oreilles.

Ce n’est pas un lieu washi-washa, toujours est-il que je me souviens de ce bel-esprit habillé à quatre épingles, connaisseur de belles-lettres, repéré avant-hier ; assis sur un tabouret, le Vert-galant ondule vers une éventuelle bien-aimée. Ivresse amoureuse encouragée par quelques fines bulles : un Mort dans l’après-midi, il ne se refuse rien. Même pas peur, comme dit mon neveu ! Il a laissé de côté – à ce qu’on a ouï-dire – la demi-mondaine au fume-cigarette fréquentant la maison de fois à autre ; à l’accoutumée, elle sirote son martini, absorbée par des romans à l’eau de rose.

Au comptoir, un doux pelleteux de nuages, un songe-creux, il pense à contre-courant ; poète idéaliste, il fait florès auprès de la patronne, admirative de son bien-dire, l’espace d’un entre deux verres – vers, elle-même s’évade à des années-lumière de son bar.

Une dame respectable entre, s’assoit et dévisage avec son face-à-main la clientèle. Scintille la pierre précieuse d’œil-de-chat, enchatonnée sur une bague en or gris, portée à l’index de sa main droite... un port avant-coureur d’autorité. Ses vêtements sont loin  – passez-moi l’expression – du décrochez-moi ça : tailleur ultra-chic, sombre, joliment assorti d’un chemisier en soie gorge-de-pigeon. Elle doit avoir une garde-robe très riche. Elle s’exprime avec hésitations trahissant un fort accent anglais. Sur-le-champ, elle dégage une méchanceté railleuse; une commande à l’emporte-pièce, son air pince-sans-rire éloigne tout rapprochement hâtif, cela s’entend. Sa présence dans ce lieu m’intrigue : une envie pressante de tea-time ? Non, un sherry-cobbler… Martine a de la bouteille, son tumbler est apporté à table subito-presto.

Le vieux Monsieur, voisin du bar, un retraité, ex- cheminot de la ligne Paris-Lille vient faire son PMU ; il ôte son couvre-chef – ah, le savoir-vivre ! Il est coquet, l’agréable parfum de son après-rasage se répand dans le bar. Il s’installe. La patronne l’entretient de la pluie et du beau temps puis lui sert son Saint-Emilion,  pas de gros-bleu chez Jean-Paul -- et un casse-croûte.

Roger, l’un des commerçants de la grand-rue, est le demi-frère du patron ; dans sa boutique, se côtoient pêle-mêle des trésors, objets rares, du bric-à-brac, c’est-à-dire quantité d’attrape-nigauds. En le voyant, le patron a posé sur le comptoir la Marie-Jeanne, le tord-boyau maison, d’après les on-dit. Roger est si boute-en train, un touche-à-tout, mais avec lui, pas de croque-en-jambe. Ils vident leurs verres d’un trait.

Un casse-pieds vient s’attabler vis-à-vis de moi. Il passe du coq à l’âne, bafouille un méli-mélo d’idées pâteuses ; ses paroles sont un non-sens. Son haleine empeste, je suis pris d’un haut-le-cœur, il a bu à tire-larigot. Il m’impatiente ! Ça sent le pousse-au-crime, croyez-moi ! Ne vous aveuglez pas, ce n’est pas du mauvais alcool dont je vous parle, vous voyez mieux ? Il est sauvé… il se lève. Arrivé au tiroir-caisse, il crie et accuse Martine de vol au rendez-vous quand celle-ci encaisse les boissons. Croyez-moi, avec la patronne, c’est toujours compté ric-rac ! Jean-Pierre, échauffé par Marie-Jeanne, n’est pas loin du corps-à-corps. Les deux hommes jouent au boute-hors ; il devrait faire attention le boit-sans-soif, le patron a été trois-quarts centre dans son jeune temps, il ne fait pas dans la demi-mesure ! Nul besoin de lui prêter main-forte ! Enfin, ils se calment, le casse-bonbons se sauve en maugréant.

Le policier municipal pénètre brutalement, un fric-frac a eu lieu, il recherche le hors-la-loi … pas le temps de faire une « halte-là » !  Il est sur le qui-vive et repart aussitôt. Moment trouble-fête ! Un faciès interlope n’a pas croisé notre chemin. Dans la rue, un tohu-bohu de voitures.

Sous peu le week-end, les fêtards franchissent la porte d’entrée, fiévreux. Un type avec son huit-reflets, sans-gêne, chante à tue-tête. Réaction mi-figue, mi-raisin de Jean-Paul sans quoi l’ancien rugbyman lui aurait proposé un brûlant tête à tête, pas en porcelaine celui-là !! Il aurait vite fait volte-face, n’est-ce-pas ? Une jeune fille en mini-jupe blanche, chemisier gris-noir, dont la voix aigre m’indispose – une espèce de pie-grièche--  l’accompagne, bras dessus, bras dessous avec une demoiselle tout aussi court-vêtue. À côté d’elles, en toilette criarde, laissant derrière lui un sillage embaumé, un soupirant … Ventre-saint-gris, comme disait Henry IV, plutôt un jeune muguet ! Lucette me jette une œillade sous-entendue. À la va-vite, un café sur le pouce et la joyeuse troupe se tire des flûtes (une telle expression, pour rester dans le milieu du breuvage !!)

Arrive le blanc-bec du village, l’habitant du lieu-dit Le Terrier, un ramasse-ton-bras comme pas un ; il fanfaronne, plastronne, prend des airs avantageux  mais c’est un prétentieux sans moyens ; un brin paumé, mi- ange, mi- démon, un lève-tard de sa génération, adepte des repas-minute, soupe au lait. Pas question de le prendre à rebrousse-poil ! Il ne faut pas grand-chose… un regard de travers et les coups-de-poing s’agitent. Un tout-fou ! Sa boisson : une pale-ale. Je l’observe mi- attendri mi- amusé.

Dans un coin, à l’écart, un trentenaire, à vue d’œil. Jusque-là, il était demeuré sur son quant-à-soi, plongé dans un journal. A mon hochement de tête amical, il salue à grand-peine avec un sourire timide. Peut-être nourrit-il des souvenirs plein de charme ou est-ce des crève-cœur ? Si j’osais, je lui offrirais un petit verre d’esprit-de-vin pour soigner ces maux. Tout à mes pensées, je tressaillis lorsque le patron empoigne mon avant-bras. Il s’assoit et nous sommes pris d’un fou-rire. Il m’invite à trinquer, porter un toast – je le comprends à demi-mots. Il me verse une généreuse rasade d’eau-de-vie ;  je ne crains pas un casse-patte, je redoute par-dessus-tout, un Trois-six, car ça va chauffer à tout-va : griserie d’une folle après-midi ! Fort heureusement, ce pousse-café est vieilli à souhait, juste ce qu’il faut pour avoir un goût de reviens-y. Nouvelle tournée du patron, allons-y pour la rincette ! Ci- devant émoustillé par la Marie-Jeanne, la langue de Jean-Pierre se délit. À brûle-pourpoint, il me confie, entre deux amuse-gueule, qu’il va être grand-père ; sa belle-fille attend son nouveau-né pour le mois prochain, une Cendrillon ou un petit Diablotin, blague-t-il  - à dorloter sans modération ! Le bien-aise se  lie sur son visage. Quelle confidence ! J’en suis fier… pas de faux-semblant d’amitié Au Passe-Temps.  

Quand je sors du bar, à peu-près sobre, le ciel est balayé par un Zéphyr rafraîchissant – un agréable remontant, sans alcool ce coup-là ! Une belle et jeune trotte-menu traverse la route accompagnée d’un chow-chow. A son passage, je me range sur le bas-côté et me saoule d’une exquise senteur, envoûtante (le sent-y bon de ma chère mère quand j’étais enfant) ; sur son front, des accroche-cœurs. Elle est un arc-en-ciel, ce clair-obscur propice au rêve d’une rencontre où je lui offrirai un Coucher de soleil doré ou une Rose de la nuit. Je ne suis pas un croque-madame. Si je donne parole, ce n’est pas un écoute-s’il-pleut. Je veux juste un douillet et tendre pied-à-terre à partager. Elle s’éloigne. Vais-je la revoir ? C’est une quasi-certitude, je croise les doigts, un soi-disant porte-bonheur… 

Je suis un Roger-Bontemps, je me moque du qu’en-dira-t ’on. Au Passe-Temps, des traits d’union, composites, familiers, subtils se forment ; le train-train ordinaire, le mal-être sont ponctués par des intermèdes salutaires. Ainsi, passe la vie dans un va-et-vient de rencontres, de sentiments, d’émotions où chacun peut à plaisir fraterniser. Tous les à-côtés que j’aime.



jeudi 1 novembre 2018

LE MESSAGER AUX MILLE VISAGES




L’  explorateur libre, déroutant et créatif.

I    nvite l’égaré à affronter ses peurs les plus abstruses,

N  éantisant tout de lui, sur lui et en lui, ce dernier

C   ache sa vulnérabilité sous un masque de déni, en

O  ccultant les blessures profondes de son enfant
         intérieur.

N  otable mnémoniste, hôte pérenne de notre corps et
         esprit

S   onde les pensées les plus secrètes, ravive angoisses
         et traumatismes, 

C   hagrine la conscience privée de libre arbitre.

I    ncontournable révélateur d’une relation à l’intime 
          insoupçonnée,

E   nfouie de vieille date, le douloureux éclairage 
          tant et plus afflige l'égaré, qui

N  on sans peine, dans un maelström d'émotions et
           de sensations,

T   ente d’achever cette quête tourmentée 
            l’approchant de son authentique nature.
          

          Hélène mariau









            

jeudi 20 septembre 2018

LE SOURIRE DE L'ÂME




Mon sommeil se nourrit de tendres pensées
Pensées aux couleurs chatoyantes, secrètement
   hébergées
Hébergées dans l’herbier de mes songes
Songes bucoliques d’une nuit d’été
Eté des tout premiers baisers.

Baiser « papillon » au vol innocent, effleurant…
Effleurant timidement ma joue rosie de plaisir
Plaisir affriolant, frôlements plus audacieux
Audacieux à souhait, emplis de divines promesses.

Promesses de souffles mêlés, de lèvres frémissantes
Frémissantes, pareilles…
Pareilles à une fleur fraîchement éclose, elles goûtent
Goûtent la saveur d’un baiser fiévreux.

Fiévreux - nos corps adornés de rosée, ivres
Ivres de caresses, s’aiment tendrement -
Tendrement enlacés, un indéfectible bonheur fleurit 
  mon cœur
Mon cœur, ce doux rêveur, la voix de mon âme.

                     Hélène mariau

dimanche 3 juin 2018




                                PETITE MAMIE 
  

Petite Mamie tartine

-            Ses biscottes,

Qui patientent, en rang serré, dans leur boite en fer. Au petit déjeuner, avec discipline, elles se plient – mais pas trop – à son sacro-saint régime "confiture maison".  

-              Son visage riant,

Où de profonds sillons révèlent les griffures du temps. Plis d’amertume, plissés du soleil, marques de l’oie ou du Roi de la Savane, peu importe l’expression ! Le précieux miroir l’accueille plein de mansuétude.

-            Son journal intime,

Dont les pages innocentes, assoiffées d’une écriture en belle ronde lui procurent un étourdissant vertige ; ce vide à force d’appel réussit à instaurer le dialogue avec elle-même. Jouissance de l’instant où le papier boit goulument mots après maux !

Les journées se répondent avec leur provende de plaisirs simples.

C’est dans ce moment qu’une rabat-joie s’invite. Elle déclenche un éclatant hourvari et brise les ressorts de l’âme. 
En un mot comme en cent, la senescence vient de s’asseoir à la table de Petite Mamie. Pourvu qu’elle n’y fasse pas bombance ! Impatiente de s’éployer, cette vilaine agrippe déjà ses mains, faisant trembler toute la maisonnée : les biscottes perdent leur intégrité, le reflet du miroir pleure sur le visage défait, granuleux et le journal intime fait son deuil d’un écrit régulier.

Dès lors, l’aurore devient valétudinaire. L’assurance de Petite Mamie chancelle mais elle ne tombe point ! Elle tartine à nouveau. Sur le cahier de sa vie, d’un geste grave, auguste, naît une note émouvante :

Tartiner - Verbe.   
                                                                   
                  Action d’étaler au sens propre ou familier

                 Pour tous, un geste quotidien anodin parmi tant d’autres.
                 Quant à nous, les Petites Mamies, bien au-delà de la définition, Tartiner est le signe d’une bienveillante autonomie qui réchauffe notre univers si solitaire et l’anime d’un vif sentiment d’alacrité.

  Les jours se diapreront d’ombre et de lumière. Petite Mamie cherchera tous les moyens de chagriner cet infrangible destin.

Hélène mariau

mercredi 21 mars 2018

AU NOM DE TOUTES LES ROSE



                        

Rose,
Un petit bouton pur et innocent, cueilli dans l’aiguail d’un clair matin,
S’épanouit dans l’intimité d’un jardin romantique.
Des désirs suaves, parfumés, à peine sauvages l’effleurent.
Un souffle de tendresse délicat et sensuel envahit son âme.
Elle goûte à la fraîcheur des sentiments amoureux et la verdure des ans se pare de rouge passion.

Pauvre volubilis ! Elle est à la lisière !

L’esprit fallacieux du galant ne tarde point à éclore. 
Sa conquête portée en boutonnière !
Il fleure l’infidélité qui parsème l’esmail d’une séduisante prairie.
Sous le faix du chagrin, Rose s’affaisse, ploie.
Des rosées de larmes glacées perlent sans fin… son teint se flétrit.
Le calice d’amertume est bu jusqu’à la lie.

Adieu serment d’amour !                                                    
Naïve marguerite aux pétales labiles !

Rose,
Fleur de l’amour, femme face à son destin,
Héroïne éponyme de ces tragédies ancestrales !
D’épineux souvenirs cultivent sa souffrance.
À la croisée des chemins, un dilemme sème le trouble :
Se relever, récolter le plaisir ou bien
Se recueillir à jamais puis s’envelopper de solitude…

                            Hélène mariau


lundi 26 février 2018

DESTINÉE



                 (Oeuvre de Émily Balivet )

Penchée sur le berceau de l’humanité, Léto et Héra président à ma naissance.
Une déesse est née, ta déesse !
Je m’épanouis auprès de toi, Hélios, mon père, le soleil de mon cœur, bercée par ton visage rayonnant.
Je découvre Gaïa.
Sous les auspices d’Athéna, au fil du jour et de la nuit, nous tissons une toile de vie forte, combattante et sage.
Une lumière coruscante, apaisante, protectrice, baigne mon univers, écarte la froidure de mes mornes hivers.
Je m’éploie dans une atmosphère émolliente, savourant chaque instant d’une véritable épopée.
Tu deviens mon fanal, le passeur d’un monde de savoirs, de valeurs et d’émotions.

A l’aube d’un nouveau jour, éclot une pensée obscure et lancinante sur l’origine de mon histoire.
Et lorsque j’épanche tout mon cœur devant toi, ton char te conduit si loin, aux confins de l’inaffection…
Que mon ciel intérieur s’assombrit brusquement.
Non seulement tu ne brilles plus mais tu refuses de m’éclairer !
Dans les bras de Morphée, il m’est doux de rêver à toi, consolant ma peine.
Ô cruelle et ineffable réalité !
Telle Elpis, dans la boite de Pandore, je demeure solitaire et fragile.
L’espérance, atroce tourment gardé au fond de moi – même !
À trop vouloir vénérer Harpocrate, tu me plonges dans les ténèbres.
Je côtoie Achéron, m’empoisonnant de souffrances et de douleurs,
Les souvenirs heureux me blessent, les cicatrices saignent !
Mnémosyne, accède à mes prières, oublie-moi !

Notre toile s’achève, enchevêtrée dans des lacis de regrets, d’histoires, et de non-dits.

Les aubes languides trainent mon désespoir.                  
Ma fin incréée se trouve entre les mains de Moïra.

             Hélène mariau


dimanche 14 janvier 2018

UN SCANDALE À LA SAVEUR DOUCE - AMÈRE

             


Il était une fois, un brave pâtissier, Michel, généreux, talentueux. Il créait toutes sortes de délices et délicatesses, dans sa boutique, Le Bonheur de la Gourmandise. Un jour, Michel décida de présenter un Mendiant ; pour certains familiers de la vitrine, ce nouveau gâteau devint vite énigmatique voire antipathique. Ça Va Se Savoir, un beignet camerounais, avait colporté la nouvelle et ses propos faisaient tâche d’huile. La confrérie des desserts fut convoquée.

La réception débuta par l’intervention d’une vraie Conversation, à l’ancienne, croustillante, au feuilleté incomparable ; elle garda un discours pédagogique reposant sur le modèle de ses origines… Les Lumières… qui se devait de faire progresser toute l’affaire. 

Puis, Éclair, accompagné de sa moitié La Caroline, se lança dans une philippique, dont la violence eu un effet foudroyant. Le pauvre Michel en aurait été pétri… de peur ! Éclair prétendait que Michel ne pouvait pas pâtisser un Mendiant et le proposer à la vente à côté de tous les autres nobles gâteaux. Faire l’aumône de restes de pain rassis pour confectionner ce Mendiant ! Quelle déchéance ! La véhémence d’Éclair se comprenait par rapport à sa descendance : les Éclairs, avaient appartenu à la famille des «  Petites Duchesses », appellation tombée en désuétude.

Se déroula ensuite une procession de desserts : au premier rang, Richelieu ; il était suivi par Religieuse qui connaissait bien Éclair -  eux deux côtoyant, chacun à sa façon, la maison céleste : lui, venant du ciel et elle, s’y confiant souvent. Auprès de Religieuse, Soupir de Nonne, ce beignet, léger comme un souffle était un sacré délice … grâce à un vent ! En effet, Soupir omettait de confesser sa naissance : un Pet de Nonne, nom de baptême de cette pâtisserie… un petit péché, bien pardonné. S’avança, en vacillant Bénédictin emmenant dans son sillage des effluves liquoreux. Enfin, fermant la marche, Sacristain, au service de ce monde clérical, qui se trouvait en grande communion avec Calisson, friandise bénie, parfumée à la fleur d’oranger.

Richelieu, doucereux, fut leur porte-parole.

Il approuva  immédiatement l’opinion d’Éclair et souligna la pauvreté de ce nom, Mendiant. Son Éminence pérorait, imposait ses idées cardinales ; on assistait à des logorrhées interminables. Les Duchesses, biscuits –noisette, le flattaient. Il en faisait une bouchée. Richelieu n’était rien qu’un cake dans un milieu propice à son épanouissement ! Ruminaient les affamés de vengeance.

Cette affaire avait ravivé de vieilles querelles entre les viennoiseries et les gâteaux, tartes et confiserie … Autrefois, Michel, notre brave pâtissier avait décidé de réaliser des viennoiseries traditionnelles. Il était devenu suspect aux yeux des boulangers - rivalités naturelles sans doute- mais surtout cette proximité avec des produits considérés comme médiocres avait irrité à l’époque nos nobles pâtisseries. Le douloureux sujet du jour réjouissait Croissants, Petits Pains, Brioches, Chaussons, et même les Escargots, tout juste arrivés. Ils ne se privaient pas d’étaler le succès de cette diversification et soutenaient  Mendiant car eux, savaient comme il était difficile d’avoir sa part dans Le Bonheur de la Gourmandise. Ils pouvaient compter sur un allié naturel, charitable, leur saint-patron, Saint –Honoré, un « sacré » gâteau .

Une odeur de revanche flottait dans l’atelier.
Brioche, aux courbes généreuses et moelleuses, s’approcha. Elle raconta pleine de mansuétude, l’histoire de Kouign- Amann, victime de discrimination. Michel avait mis en vente un Kouign-Amann, un beau matin de septembre, une surprenante rentrée se plaisait-il à annoncer. Les mêmes, comme à l’accoutumée, avaient traité avec acrimonie le petit nouveau, pourtant bien craquant, jusqu’au jour où, Le Petit Jeannot, un échaudé aveyronnais - qui avait lui aussi connu des aventures - dévoila l’origine de Kouign – Amann : IL ÉTAIT BRETON ! Brioche décrivit avec détails comment ses détracteurs s’étaient fait mettre en boîte… de savoureux moments à déguster ! Le Petit Jeannot avait eu les rieurs de son côté.

Éclair, Richelieu et son cortège éclatèrent – de rage- pas fraîches les pâtisseries !

Ça chauffait, dans l’atelier ! Tarte à la Crème, épaisse, savoureuse, impatiente, gifla Arlequin : «  Entremets – toi ! Réagis ! » Mais Arlequin demeura froid devant cette comédie improvisée, n’ayant nul sens du comique! Ridicule !

La température montait, chacun se rangeait…

Merveille réveilla Oreillette, qui écoutait discrètement, frites à point, elles rejoignirent Soupir de Nonne, leur cousine et la classe de Richelieu. Cette catégorie de pâtisseries, plutôt mondaine, se renforça  d’autres créations au goût très personnel, donc peu concernées par l’affaire :
- Parfait, texture soignée, restait de glace, comme à son habitude. Il ne se séparait jamais de Miroir qu’il appréciait pour son aspect réfléchissant ; d’ailleurs, il le questionnait régulièrement «  Miroir, ô mon beau miroir, qui est le plus succulent ? ».
- Succès, ultra gourmand et authentique - garanti 100% chocolat- ne se faisait aucun souci, il avait toujours bénéficié d’une audience à la saveur intense.
 - Mont Blanc dominant, attendait avec eux le point culminant de la confrontation car il ne rêvait que de conférence au sommet.
 - Opéra, lyrique, se mettait en scène et jouait son grand air composé de plusieurs couches.
 - La Tropézienne, onctueuse à souhait, starlette mythique, se contentait de répéter son show.  

Trianon se rapprocha de Richelieu. Ils bâtirent ensemble des châteaux en Espagne, et rêvèrent de demeurer entre desserts du même rang. Au pas cadencé, Napoléon marcha vers eux, l’empereur du mille-feuille franco-russe venait soutenir le moral de cette troupe… «  Impossible, n’est pas français ».

De leur côté, Cigarette, encore bien roulée, Langue de chat, à la réflexion peu poussée, Tuile, que l’on évitait le plus possible, les Macarons, aux multiples parfums, enivrants, granuleux, légèrement craquelés,  Biscotti, l’italien croquant , Canistrelli le corse , cassant et Sablé , la bonne pâte si friable -  des petits biscuits secs, bien conservés, gardiens de la mémoire et des traditions culinaires - confièrent à Bras de Gitan qu’au Bonheur de la Gourmandise, beaucoup de Singuliers, comme ils les surnommaient, avaient été produits par Michel ; ce dernier avait su innover, s’adapter et gagner en notoriété.

Bras de Gitan, bien roulé, par essence voyageur, itinérant, connaissait bien ces Singuliers.
La première invasion, au Bonheur de la Gourmandise, rappela-t-il, est venue des States avec les Brownies, gâteaux – à la noix - qui  rapportèrent beaucoup et avec les Cookies, « pépités » – valant leur pesant d’or – qui ont marqués les clients, devenus des habitués de notre site. Puis, pour des tea time so british, sont apparus les Scones, extérieur croquant, intérieur fondant. Un légume se planta dans un délicieux et sucré Carrot Cake, une réussite ! Ont suivi les parfums de l’orient, pour égayer les palais de mille et une nuits, cornes de gazelle, makrout, gâteaux à la noix de coco. Se sont progressivement infiltrés les parrains Cannolicchi et Ciambella, promoteurs d’une mafia de desserts, aux saveurs douce, fraîche et crèmeuse, surnommée «  La Ricotta Italienne ». À  l’arrivée Des Pateis de Nata, tous ont pensé, encore un étranger, «  c’est du flan ! »  Et bien ils avaient raison, des flans portugais ! J . Enfin, se sont invités, l’allemande Forêt Noire et le polonais Baba Au Rhum, suffisamment «  punchés » pour devenir une force de frappe… commerciale.
Alors, conclut Bras de Gitan, arrêtez vos prétentieuses mignardises et recevez comme il se doit Mendiant !

Les Financiers qui étaient restés à l’écart, s’intéressèrent à un éventuel juteux et nouveau gagne-pain, Bras de gitan ne jetait pas de la poudre – d’amande- aux yeux des Financiers, le projet pouvait rapporter des … lingots ! Une belle part du gâteau !

Une Oublie se fraya un chemin, mince et gaufrée, nostalgique, moyenâgeuse,  elle s’émut de tant d’histoire ;  les souvenirs ressurgissaient comme une madeleine de Proust, à la recherche du temps perdu. Elle, qui vécut si longtemps en homonymie, avec un oubli avant d’être remise au goût du jour par Michel. Elle fut réconfortée par nos féministes : Arlette fine, croustillante, Marguerite fleurant le citron, Charlotte, l’élégante, adepte du boudoir, et Amandine, gâteau-éponge, légère, aérienne.

Éclair revint en trombe, s’inspira de l’esprit de Jalousie, pour attiser les rivalités… on ne peut pas parler d’ « un éclair de génie »!

Navette, épuisée à force de faire tant d’allers-retours pour adoucir les uns et les autres dépêcha l’Ambassadeur. Sa diplomatie habituelle n’eut aucun effet, il avait l’amande amère, il était vert ! L’idée de consulter Mille-Feuille fut vite abandonnée, c’était une ressource alimentaire trop riche.

Paris- Brest s’inquiéta du tour pris par la conversation. Chacun maintenait et renforçait ses positions. Les Boutons de Soldats, loin d’être en déconfiture, se postèrent, prêt à intervenir.

Diablotin, entremets de petite taille, rôdait, se faufilait et tourmentait par ses espiègleries. Des grains de folie commençaient à se parsemer.

Doigt de fée, magnifique, éclatant, orné de nonpareilles s’agita :

« Je t’invoque, Saint- Michel, notre saint – patron, Donne nous des gâteaux débonnaires, à l’esprit convivial, Au service de la pure gourmandise, Maintenant et pour toujours » Cette recette magique d’un vieux grimoire devait être répétée et cuisinée par des âmes douces et aimantes, le clan des Peace and Love fut donc réquisitionné :
 - les opposés  tellement attirants, tendre petit Chou, tout crémeux – si plein  et  Chouquette, soufflée, légère- si vide.
 - les éternels sentimentaux,  les Puits d’Amour, profonds, mystérieux, friands de senteurs amoureuses – si bien assortis – aux Tourments d’Amour, troublante pâtisserie à la noix de coco.
 - les collés-serrés,  soit par passion pour nos deux meringues, suaves, dessinant un Baiser de Namur ou soit par appétence pour Les Divorcés, séparé par un parfum mais unis pour la bonne cause.
- les proches, intimes, familiers du septième ciel,  les Gâteaux des Anges, toute la légèreté d’un péché de gourmandise !

Patatras ! L’appareil fut bien préparé mais l’envolée culinaire fut vite retombée ! L’enchantement s’évanouissait…

Alléluia, brioche pascale, - en avance sur le calendrier liturgique – la missionnaire des « saisonniers », tels que les Bugnes, les Colombiers de la Pentecôte, les Colombes de Pâques, les Galettes des Rois et autres Bûches de Noël, interpela Richelieu : « Sachez, Monseigneur, et vous, mes compagnons de table, que parmi les 13 desserts servis le 24 décembre, les fruits secs sont appelés Mendiants et représentent les différents ordres catholiques ayant fait vœu de pauvreté… Monseigneur, l’aurait-il oublié ?  Oui, Monseigneur, de simples fruits secs au nom très symbolique !! »

Tous restèrent de glace, sauf Tatin qui en fut renversée ; ils voulurent ajouter leur grain de sel.

Il se faisait tard… Le Broyé du Poitou tapa du poing sur la table. Il se présenta comme un  gâteau démocratique puisqu’il se séparait en parts inégales : la part n’était donc pas imposée, chacun choisissait celle qui faisait envie. Ainsi, ferme et cassant, il affirma qu’un régime équilibré devait avant tout prévaloir. Tous les types de pâtisserie seraient proposés, le fin gourmet achèterait selon ses désirs.

Fatigués, ensemble ils s’étalèrent, délicieusement entreposés, pour la nuit.

Dès le lendemain, des Mendiants trônaient à côté des autres gourmandises. La clientèle les apprécia.

Cette histoire avait-elle rendu certains plus tolérants ? Disons que les raisons de leur attitude agressive, tels que l’ignorance, le classisme, la peur de la nouveauté, la jalousie voire l’étroitesse de cœur et d’esprit ont pu s’adoucir ou demeurer empreinte d’amertume. Au mieux, étaient-ils condescendants  pour ce que l’on ne peut empêcher… l’esprit d’ouverture viendrait – espérons-le – plus tard ! 

Pour comprendre l’autre, il ne faut pas se l’annexer, il faut se faire son hôte.
Louis Massignon (1883 – 1962)